Le Troisième Reich, T1

en
adopter la langue dans laquelle il allait écrire tous ses livres. Plusieurs de
ses ouvrages exercèrent une influence profonde sur Guillaume II, sur Adolf Hitler et sur d'innombrables
Allemands de moindre importance.
    En 1870, âgé de quatorze ans, Chamberlain se trouva entre les
mains d'un précepteur remarquable, Otto Kuntze, prussien, à l'extrême, qui
quatre années durant imprégna son jeune esprit réceptif et son âme sensible des
gloires de la Prusse militaire et conquérante, ainsi que de celles d'artistes
et de poètes tels que Beethoven, Goethe, Schiller et Wagner; apparemment, ce
contraste ne gênait pas le pédagogue! A dix-neuf ans, Chamberlain tomba
follement amoureux d'Anna Horst, Prussienne elle aussi, son aînée de dix ans,
et, comme lui, névropathe.
    A vingt-sept ans, en 1882, il quitta Genève, où il s'était
plongé, pendant trois ans, dans l'étude de la philosophie, des sciences
naturelles et de la médecine, pour Bayreuth. Il y rencontra Wagner, qui devint
le soleil de sa vie (ce sont ses termes), et sa femme Cosima, à laquelle il
demeura passionnément et dévotement attaché jusqu'à sa mort. Dès 1885, quand il
alla en compagnie d'Anna Horst, qu'il avait épousée, passer quatre années à
Dresde, il devint Allemand de langue et de pensée. En 1889, il se rendit à
Vienne, où il vécut vingt ans, et en 1909 à Bayreuth, où il habita jusqu'à sa
mort (1927). En 1905, il divorça d'avec sa Prussienne adorée, alors qu'elle
avait soixante ans et qu'elle était mentalement et physiquement encore plus mal
en point que lui; la séparation fut si pénible qu'il prétendit en être devenu
presque fou. Trois ans plus tard, il épousa Eva Wagner et se retira près de
Wahnfried, où il pouvait voisiner avec sa belle-mère, l'autoritaire et révérée
Cosima.
    Hypersensible, sujet à de fréquentes crises d'abattement,
Chamberlain était affligé de visions où, disait-il, des démons lui enjoignaient
sans pitié ni relâche de rechercher de nouveaux champs d'étude et de poursuivre
ses extraordinaires travaux. Elles le forçaient successivement à passer de la
botanique aux beaux-arts, à la musique, à la philosophie, à la biographie, à
l'histoire. Un jour de 1896, alors qu'il revenait d'Italie, une de ces
apparitions eut un caractère si impérieux qu'il descendit du train à Gardone,
s'enferma pendant une semaine dans une chambre d'hôtel et, abandonnant un
projet d'œuvre musicale, entreprit fiévreusement un essai biologique, où il
découvrit l'embryon du thème qui allait dominer tous ses ouvrages ultérieurs,
celui de la race et de l'histoire.
    Nonobstant ses tares, son intelligence disposait d'un vaste
éventail qui couvrait les domaines de la littérature, de la musique, de la
biologie, de la botanique, de la religion, de l'histoire et de la politique.
Comme l'a signalé Jean Réal (26), tous ses travaux publiés montrent une
profonde unité d'inspiration et une cohérence remarquable. Étant donné qu'il se
sentait pourchassé par ses démons, ses livres (sur Wagner, sur Gœthe, sur Kant,
sur le christianisme et sur la race) étaient écrits sous l'étreinte d'une
surexcitation terrible, combinaison d'état de transe et d'auto-intoxication, si
bien que, comme il le raconte dans son autobiographie, Lebenswege, il était souvent
incapable de les reconnaître, parce qu'ils dépassaient ce qu'il en attendait.
    Des esprits plus équilibrés que lui ont, depuis, infirmé ses
théories raciales et une grande partie de sa position historique. L'éminent
germanisant français Edmond Vermeil tient ses idées pour essentiellement
absurdes. Néanmoins, pour le biographe anti-nazi d'Hitler, Konrad Heiden, qui
d'ailleurs regrettait l'influence exercée par les écrits racistes de
Chamberlain, celui-ci « fut un des talents les plus remarquables qui se soient
manifestés dans l'histoire de l'esprit allemand, en même temps qu'une mine de
connaissance et d'idées profondes ».
    Le livre qui exerça sur cet intellect allemand l'influence la
plus prononcée, qui plongea Guillaume II dans l'extase et qui fournit aux nazis
la matière de leurs aberrations racistes fut Grundlagen des Neunzehnten
Jahrhunderts ( Fondements du XIXe siècle ) ouvrage de quelque douze
cents pages, que Chamberlain, retombé sous la griffe d'un de ses « démons »,
écrivit en dix-neuf mois, du 1er avril 1897 au 31 octobre 1898, à Vienne, et
qui fut publié en 1899.
    Tout comme Gobineau qu'il admirait, Chamberlain