Le Troisième Reich, T1
selon Heiden, il se rendit en Angleterre, où il fonda bientôt une
famille qu’il s’empressa d’abandonner (15).
L’accession des nationaux-socialistes au pouvoir lui valut des
temps meilleurs. Il ouvrit une Bierstube (petit débit de bière) dans un
faubourg de Berlin ; peu avant la guerre, il la transféra au
Wittenbergplatz, dans l’élégant quartier ouest de la capitale. L’endroit était
fréquenté par les fonctionnaires nazis et, durant la première période des
hostilités, alors que régnaient les restrictions alimentaires, la boisson n’y
manqua pas. J’y passais de temps en temps. A cette époque, Aloïs approchait de
la soixantaine ; c’était un homme corpulent, simple, affable, ressemblant
peu à son célèbre demi-frère et qui, en fait, ne se distinguait absolument pas
de douzaines d’autres petits cafetiers autrichiens et allemands.
Ses affaires marchaient bien et, quel qu’eût été son passé, il
se montrait satisfait de sa vie prospère. Sa seule crainte était qu’Adolf, dans
un accès de mécontentement ou de colère, ne le fît priver de sa licence. Parfois,
dans la Bierstube, on prétendait que le chancelier et Führer du Reich n’appréciait
pas outre mesure l’humilité première de la famille Hitler. Je me souviens qu’Aloïs
lui-même se refusait à toute conversation relative à son demi-frère. Précaution
fort sage, mais déplorée par certains clients curieux d’en apprendre le plus
possible sur les origines de l’homme qui s’était déjà mis en tête de conquérir
l’Europe. Au reste, sauf dans Mein Kampf, où les détails biographique sont
clairsemés et souvent sujets à caution, il est rare qu’Hitler ait parlé, ou ait
laissé parler en sa présence, de ses origines familiales ou de ses débuts dans
la vie.
UN MAUVAIS DEPART.
Lorsque son père prit à cinquante-huit ans sa retraite de l’administration
des douanes, Adolf en avait six. Il fut mis à l’école primaire de Fischlham, village
situé à quelques kilomètres au sud ouest de Linz. C’était en 1895. Pendant les
quatre ou cinq années qui suivirent, l’ancien fonctionnaire continua de
manifester son instabilité d’humeur en passant d’un village à l’autre, sans
toute fois quitter la région. A quinze ans, son fils connaissait déjà sept
changements d’adresse et cinq écoles différentes. Pendant deux années, il
suivit les cours du monastère bénédictin de Lambach, près duquel le père avait
acheté une ferme. Il fit partie de la chorale, prit des leçons de chant, et, à
l’en croire (16), envisagea même d’entrer un jour dans les ordres. Enfin, le
retraité s’établit définitivement dans le village de Leonding, sur les confins
sud de Linz ; la famille y occupa une maison modeste, avec un jardin.
Quand il eut onze ans, Adolf fut envoyé au collège de Linz, sacrifice
financier pour son père qui avait l’ambition de voir son fils suivre ses traces
en devenant fonctionnaire de l’administration autrichienne ; mais c’était
bien la dernière carrière dont voulût rêver le jeune Adolf.
Quoique je n’eusse encore que onze ans, a rapporté plus
tard Hitler (17) je fus forcé de résister (à mon père) pour la première fois… Je
ne voulais pas devenir fonctionnaire civil.
Le récit de la lutte acharnée, incessante du jeune garçon – même
pas adolescent – livrée à un père obstiné et, a-t-il assuré, dominateur, est
une des rares données biographiques qu’Hitler a notées dans Mein Kampf , avec
un grand détail et beaucoup d’exactitude et de sincérité au moins apparentes. Leur
conflit amena la première manifestation de cette volonté pleine de superbe et d’intransigeance
qui allait emporter Hitler si loin, en dépit de difficultés apparemment
insurmontables et qui, écartant tous les hommes et tous les obstacles, devait
marquer l’Allemagne et l’Europe d’une indélébile empreinte.
Je ne voulais pas devenir fonctionnaire, non, cent fois non.
Toutes les tentatives faites par mon père afin de m’inspirer de l’attachement
ou de l’intérêt pour cette carrière à l’aide d’anecdotes tirées de sa propre
vie produisaient en moi l’effet exactement contraire. Je… ressentais un dégoût
physique à l’idée de rester dans un bureau, privé de ma liberté, perdant la
faculté de disposer de mon temps et contraint de passer toute mon existence
courbé sur des piles d’imprimés à remplir…
Un jour, je compris clairement que je
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