Le vétéran
pour une cour de la ville. Ce n'était pas grand-chose. La cour appartenait au monastère de Santa Cecilia, dont elle jouxtait les hauts murs. Les moines n'en avaient pas besoin. Vingt mètres sur trente à peu près, un cloître sur un des côtés et l'ombre des hauts murs de pierre.
´ "Pour assurer une séparation complète, le père supérieur a fait installer une lourde porte en bois de chêne dans la seule arcade qui faisait communiquer la cour et le monastère, et il l'a fermée en plus de solides verrous.
´ "Dans cette cour, la jeune femme a établi une espèce de refuge ou d'asile pour les pauvres et les nécessiteux qui vivaient dans les rues et les venelles. De nos jours, on appellerait ça la soupe populaire, mais une telle chose n'existait pas à l'époque, bien entendu. Elle a coupé sa longue chevelure lustrée et s'est fabriqué une robe toute simple, en coton gris.
Elle allait nu-pieds au milieu des ordures.
´ "Dans cette cour, les pauvres parmi les pauvres, les parias de la société, les boiteux et les estropiés, les mendiants et les miséreux, les jeunes servantes enceintes qu'on avait chassées de chez elles, les aveugles et même les malades - redoutés entre tous - pouvaient trouver un havre de paix, loin de l'enfer des rues.
´ "Ils se vautraient dans leur crasse, parmi les déjections et les rats, car ils n'avaient jamais rien connu d'autre. Elle essuyait et lavait leur corps, soignait les plaies et les blessures, utilisant le restant de sa dot pour acheter de la nourriture. Par la suite, elle a mendié dans les rues pour pouvoir continuer. Naturellement, sa famille l'a reniée.
´ "Mais au bout d'une année, l'humeur de la ville a changé. Les gens commençaient à l'appeler Catherine de la Miséricorde. Les nantis qui se sentaient coupables lui ont fait parvenir des 179
dons anonymes, et sa réputation s'est étendue dans toute la cité et au-delà. Une autre jeune fille de bonne famille a abandonné ses biens pour venir la rejoindre, imitée bientôt par une deuxième. La troisième année, la Toscane entière connaissait leur existence. Malheureusement, elle a aussi attiré l'attention de
l'…glise.
´ "II vous faut garder en mémoire, signore, que l'…glise catholique romaine traversait alors une période terrible. Même moi je suis forcé d'en convenir. Une trop longue habitude des privilèges, de la puissance et du faste Pavait rendue corrompue et vénale. De nombreux prélats de l'…glise, évêques, archevêques ou cardinaux, vivaient comme les princes temporels et s'abandonnaient au plaisir, à la violence et à toutes les tentations de la chair.
´ "Le peuple avait déjà commencé à réagir et trouvait sans cesse de nouveaux soutiens. Ils appelaient leur mouvement la Réforme. Dans le nord de l'Europe, les choses étaient encore plus avancées. Luther avait déjà
prêché sa doctrine de l'hérésie, le roi d'Angleterre avait consommé la séparation avec Rome. Ici, à Sienne, la foi véritable bouillait comme un chaudron br˚lant. ¿ quelques kilomètres, dans la ville de Florence, le moine prédicateur Savonarole avait péri sur le b˚cher, après d'atroces tortures qui ne l'avaient pas fait abjurer. Même sa mort n'a pas fait taire les grondements de révolte.
´ "L'Eglise avait besoin d'une réforme, mais pas d'un schisme. Pourtant, les gens au pouvoir le voyaient souvent d'un autre oil. Parmi eux se trouvait l'évêque de Sienne, Ludovico. C'est lui qui avait le plus à
craindre, car il avait fait de son palais un repaire honteux de débauche, de gloutonnerie, de corruption et de vice. Il vendait des indulgences aux riches et ne leur accordait l'absolution définitive qu'en échange de toute leur fortune. Cependant, dans sa propre cité, quasiment sous ses murs, vivait une jeune femme dont l'exemple le couvrait d'opprobre. Et en plus, les gens le savaient. Contrairement à Savonarole, elle ne prêchait pas et ne cherchait pas à soulever la population, mais il s'est mis néanmoins à la craindre."
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Depuis la tribune des juges sur la Piazza del Campo, le précieux Palio fut solennellement remis aux représentants de la contracta victorieuse. Les bannières triomphales à l'effigie du porc-épic s'agitèrent frénétiquement tandis que les vainqueurs partaient en chantant vers le banquet de la victoire.
- On a tout manqué, fit la femme de l'Américain en s'appuyant sur sa cheville foulée, qui lui faisait beaucoup moins mal. Il n'y aura plus rien à
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