Le vétéran
livré des combats qui ont épuisé Sienne.
´ "En 1520, une fille est née à un des descendants les moins puissants de la famille Petrucci, qui en dépit de la mort de Pandolfo faisait toujours la loi à la Balia. Mais quand elle a eu quatre ans, la maison des Petrucci a perdu son emprise sur le conseil et les quatre autres Monti se sont affrontés sans retenue. La fille s'est révélée en grandissant aussi pieuse que belle, et a fait honneur aux siens. Us habitaient tous un vaste palais non loin d'ici, protégés de la misère et du désordre des rues avoisinantes.
Alors que les jeunes filles fortunées et g‚tées devenaient têtues, désobéissantes et parfois même licencieuses, Caterina di Petrucci demeurait modeste et fidèle à ses devoirs religieux.
´ "Son unique désaccord avec son père concernait la question du mariage.
¿ l'époque, il n'était pas rare que les filles se marient à seize, voire quinze ans. Mais les années passaient et Caterina continuait à éconduire tous ses soupirants, au grand désarroi de son père.
´ "En 1540, Sienne et ses environs évoquaient une vision infernale : famine, peste, émeutes, révoltes paysannes et divisions internes accablaient la cité-…tat. Caterina aurait pu ne souffrir de rien, protégée par les murs du palais et les gardes de son père, partageant son temps entre les travaux d'aiguille, la lecture et les services religieux dans la chapelle familiale. Mais cette année-là,
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il s'est produit quelque chose qui a modifié le cours de sa vie. Elle s'est rendue à un bal, et elle n'y est jamais arrivée.
´ "Nous savons ce qui s'est passé, ou du moins nous croyons le savoir, parce qu'il existe un document en latin rédigé par son confesseur, un vieux prêtre que la famille gardait auprès d'elle pour ses besoins spirituels.
Elle a quitté le palais en carrosse avec une dame de compagnie et six gardes du corps, car les rues
n'étaient pas s˚res.
´ "Au cours du trajet, son attelage a été bloqué par une voiture arrêtée en travers de la rue ; c'est alors qu'elle a entendu un homme hurler de douleur. Malgré les protestations de sa duègne, elle a soulevé le rideau pour regarder dehors. L'autre carrosse appartenait à une famille rivale.
Manifestement, un vieux mendiant avait trébuché dans la rue, effrayant le cheval qui avait fait une embardée. Pris de colère, l'occupant de la voiture, un jeune noble au caractère violent, avait bondi sur le mendiant, armé du gourdin d'un de ses gardes, et il le frappait sauvagement. Sans une hésitation, Caterina a sauté à son tour dans la fange, abîmant ses pantoufles de soie, et a crié à l'homme d'arrêter. quand il a levé la tête, elle a constaté qu'il s'agissait d'un des jeunes nobles que son père avait voulu lui faire épouser. Voyant sur la portière les armoiries de la famille Petrucci, il s'est interrompu pour remonter en voiture.
´ "Accroupie dans la boue, la jeune fille a soulevé le corps du vieux mendiant pouilleux, mais les coups avaient été fatals. Bien qu'il ait d˚
grouiller de parasites et sentir l'ordure et la fange, elle l'a tenu dans ses bras pendant son agonie. La légende prétend qu'en se penchant sur ce visage ravagé et tordu de douleur, elle a cru voir la face du Christ mourant. Notre ancien chroniqueur rapporte qu'il lui a murmuré en rendant son dernier souffle : 'Prends soin de mon peuple.'
´ "Nous ne saurons jamais vraiment ce qui s'est produit ce jour-là, car aucun témoin n'en a fait le récit. Nous n'avons que la parole d'un vieux prêtre qui écrivait dans sa cellule de moine, des années plus tard. Mais quoi qu'il soit arrivé, sa vie en a été
bouleversée.
´ "Une fois rentrée chez elle, elle a br˚lé toute sa garde-robe dans la cour du palais. Puis elle a informé son père qu'elle souhaitait renoncer au monde et se retirer dans un couvent. H n'a
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pas voulu en entendre parler et le lui a formellement défendu. Bravant l'interdit paternel, chose peu fréquente à l'époque, elle a fait le tour des couvents et des cloîtres de la ville, o˘ elle a demandé à entrer comme novice. Mais les messagers de son père l'avaient devancée et tous ont refusé, connaissant le pouvoir qui restait aux Petrucci.
´ "Si son père croyait la dissuader de la sorte, il faisait erreur. Elle a dérobé dans les coffres familiaux la somme allouée à sa dot, et au terme de négociations secrètes avec un Monte rival, elle a signé un bail à long terme
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