Le vétéran
militaire, puis je suis passé au Hamburg General. En 1949, la république a été rétablie et je me suis fait engager dans une clinique privée. Elle a prospéré et j'ai acquis des parts dans l'affaire.
J'ai aussi épousé une jeune fille des environs, qui m'a donné deux enfants.
Les conditions de vie s'amélioraient, l'Allemagne remontait la pente. J'ai quitté mon travail pour fonder de mon côté une petite clinique. J'y soignais les nouveaux riches, qui ont contribué à ma propre fortune.
Pourtant, je n'ai jamais oublié la cour ni la jeune fille en habit de religieuse.
Én 1965, je me suis séparé de mon épouse après quinze ans de mariage. Nos enfants étaient encore adolescents. Malgré leur chagrin, ils étaient capables de comprendre. J'avais de l'argent, j'avais retrouvé ma liberté.
En 1968 j'ai décidé de revenir ici et de la rechercher. Juste pour lui dire merci.
173
- Et vous l'avez retrouvée ?
- D'une certaine manière. Vingt-quatre ans s'étaient écoulés et elle devait approcher de la cinquantaine, comme moi. Je comptais retrouver une religieuse, ou, si elle avait quitté son ordre pour une raison ou une autre, une mère de famille entre deux ‚ges. Je suis donc arrivé pendant l'été 1968 et j'ai loué une chambre à la Villa Patrizia avant d'entreprendre des recherches.
´J'ai commencé par me rendre dans tous les couvents que j'ai pu trouver. Il y en avait trois, appartenant à des ordres différents. J'ai payé les services d'un interprète pour aller les visiter. J'ai parlé chaque fois à
la mère supérieure. Deux d'entre elles se trouvaient déjà là pendant la guerre, la troisième était venue plus tard. Elles ont secoué la tête quand je leur ai décrit la jeune novice dont je m'étais mis en quête. Elles ont toutes appelé la religieuse la plus ‚gée du couvent, mais aucune n'avait connu de novice répondant à ce signalement.
´ L'habit qu'elle portait me semblait d'une importance particulière : gris clair avec une croix plus sombre cousue sur le devant. Personne n'a réussi à l'identifier. Aucun de ces ordres n'avait d'habit gris p‚le. J'ai alors étendu mon champ d'investigation. Peut-être venait-elle d'un couvent en dehors de la ville et séjournait-elle chez des parents pendant la dernière semaine d'occupation allemande, en 1944. J'ai parcouru la Toscane en espérant tomber sur son couvent, mais en vain. Tandis que mon interprète perdait patience, j'ai effectué des recherches sur l'habit des différents ordres de religieuses, aujourd'hui ou par le passé. Plusieurs étaient gris p‚le, mais nul n'avait jamais entendu parler d'un motif en forme de croix brisée.
Áu bout de six semaines, j'ai compris que mon entreprise était sans espoir. Personne ne la connaissait, on n'en avait même pas entendu parler.
Vingt-quatre ans auparavant, elle était apparue dans la cour pour bassiner le visage des soldats à l'agonie et leur apporter quelque réconfort. Elle avait touché leurs plaies et ils avaient survécu. Peut-être possédait-elle le don de guérir par imposition des mains. Mais ensuite, elle s'était évanouie dans le tourbillon d'une Italie déchirée par la guerre et je ne l'avais plus revue. O˘ qu'elle se trouv‚t, je lui souhaitais beaucoup de bien, mais je savais que je ne la retrouverais pas.
- Mais vous avez dit que si, fit remarquer l'Américain.
174
- J'ai dit "d'une certaine manière", rectifia le chirurgien. J'ai bouclé
mes bagages, mais j'ai quand même fait une dernière tentative. Deux quotidiens paraissent à Sienne : le Carrière di Siena et la Gazzetta di Siena. Dans les deux j'ai passé une annonce sur un quart de page. Je fournissais même une illustration : j'avais dessiné le motif figurant sur la robe et il était reproduit à côté de l'annonce ; je promettais une récompense à quiconque me donnerait des informations sur ce curieux motif.
Les journaux sont sortis le matin o˘ j'avais prévu de partir.
´ Je m'apprêtais à quitter ma chambre quand la réception m'a prévenu que quelqu'un me demandait. Je suis descendu avec mes bagages. Mon taxi devait arriver dans une heure. En fait je n'en ai jamais eu besoin et j'ai manqué
mon avion.
Ún petit vieux aux cheveux blancs et vaporeux m'attendait dans le hall, vêtu d'un habit de moine gris foncé à ceinture de corde blanche, les pieds chaussés de sandales. H tenait à la main un exemplaire de la Gazzetta, ouvert à la page de mon annonce. Nous sommes
Weitere Kostenlose Bücher