Le Voleur de vent
sienne !… Ai-je jamais, même au temps
de ma jeunesse, suscité passion si visible, si forte, si violente… et si
sincère ? »…
Nissac salua le roi avec naturel et une
certaine retenue pourtant absente de tout calcul. La chose apparut en grande
netteté à Henri quatrième aussi bien qu’à madame de Guinzan. Tel qu’était fait
ce salut, on n’y pouvait rien relever d’irrespectueux en l’apparence, mais en l’esprit,
on ne se pouvait méprendre : Nissac saluait le roi avec respect mais
quelque chose en lui, bien qu’il n’en eût sans doute point conscience, pouvait
laisser deviner que les Nissac étaient nobles bien avant les Bourbons.
Henri quatrième s’empourpra mais se contint. Ce
qu’il avait à dire était assez terrible, il le devait donc exprimer sans trace
de haine ou de jalousie car alors, ses intentions seraient trop apparentes.
À cet instant, le monarque conçut d’améliorer
son plan, ajoutant la ruse à la cruauté. Ainsi, il feignit la bonne humeur :
— Vous voici en fort belle compagnie, Nissac.
— Je ne suis point certain de mériter
pareil avantage, Sire, tant madame de Guinzan est personne de grande valeur.
« Tandis que moi, je lui mets la main aux
fesses, ne voyant que son très beau cul et point ses très grands mérites. Autant
dire que je n’ai point de délicatesse d’esprit. Ah çà, Nissac, tu vas payer
cette nouvelle effronterie au prix fort ! »…, songea le roi.
Henri quatrième savait qu’il envoyait Nissac à
la mort et songea que voir blêmir le vaillant amiral devant celle qui tant l’aimait
et admirait pouvait constituer spectacle en forme de revanche.
Aussi, prenant ton accommodant, proposa-t-il :
— Je m’en voudrais de vous séparer. Que
la baronne reste présente pour ce que j’ai à vous dire, Nissac !… Allons
nous promener en les jardins des Tuileries.
45
Il n’espérait plus rien, sachant que sa vie
allait s’arrêter là, sous ce ciel bleu de grande pureté, en cette journée
glacée tandis qu’un pâle soleil, sur le déclin, lui rappelait qu’il fut jadis
petit garçon s’amusant du vol des papillons en les journées d’été.
En ces années-là, si lointaines aujourd’hui,
« Jaune » ne savait point qu’il était laid, ne se voyant qu’au
travers du regard tendre de sa mère.
Il s’étonna qu’en son déroulement une vie
passât si vite. Les jours s’ajoutaient aux jours, et le malheur au malheur, mais
toujours demeurait en le cœur l’espérance que tout pouvait encore changer.
Mourir ne lui faisait point peur bien qu’il
sût qu’on lui infligerait telles souffrances que cette mort, dans la douleur
extrême, il en viendrait à l’appeler comme son vœu le plus cher.
Il ressentait mélancolie à quitter tout cela. Le
ciel, encore une fois, mais aussi le chant des oiseaux en les matins clairs, le
bruit cascadant des ruisseaux et, en sa courte vie, quelques rares regards d’hommes
et de femmes qui semblaient en grande sincérité de le plaindre pour pareille
laideur qui le faisait montrer du doigt.
Au reste, sans ces traits disgracieux, eût-il
été loup-garou ?
La question, qu’il ne s’était jamais posée, le
passionna tout soudainement comme étant une des choses les plus importantes qui
soient.
Il devait y répondre mais savait également qu’il
devait faire un choix entre demeurer ici, en l’orée d’un petit bois, ou aller
vers le village. Ce choix était de grande importance car il lui permettait de
préférer telle ou telle mort.
Ainsi était la situation qu’en effet existait
alternative…
Surpris dix minutes plus tôt par un cavalier, jeune
homme qui faillit dégringoler de cheval en tombant nez à nez avec cet homme à
tête de loup portant petit enfant endormi en ses bras, il avait vu l’inconnu en
question se ressaisir et pousser aussitôt son cheval vers le village.
Il ne doutait donc pas que le cavalier avait
donné l’alerte et, entendant le tocsin, il en eut la profonde conviction. Ainsi
donc, on l’attendait au village et, s’il était assez fol pour s’y montrer, il
avait idée assez précise du sort atroce qu’on lui réservait. Cependant, il nota
qu’il devait créer là-bas grande terreur car semblait s’ébaucher tacite
proposition : s’il ne venait point, on ne lui donnerait pas la chasse, espérant
qu’il se ferait prendre ailleurs et ne voulant en aucun cas risquer la vie des
habitants du village, tant était solidement établie la
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