Le Voleur de vent
réputation d’excellents
combattants des loups-garous.
Mais loup-garou, il l’était, précisément, et
en possédait toutes les qualités par quoi il faut entendre non point des
qualités humaines mais d’exceptionnelles dispositions au combat de ces
créatures tant fascinantes. Car être loup-garou suppose aussi qu’on y voie la
nuit, certes, mais que l’on possède oreilles de très grande finesse ainsi qu’instinct
de chasseur jamais pris en défaut.
Or, depuis quelques heures, « Jaune »
sentait des poursuivants lancés à ses trousses.
Ceux-ci avaient manières de loups-garous dont
il connaissait tous les tours et savait toutes les ruses. En outre, ils étaient
menés par pisteur exceptionnel et « Jaune » ne douta point que le
moine sans visage s’était adjoint le meilleur.
Certes, il pouvait donc choisir d’échapper aux
villageois pour mourir de la main des siens. Ne serait-ce point là ordre plus
naturel imprimé aux choses de l’existence ?
Cependant, il ne souhaitait pas fournir au
moine italien pareil motif de se réjouir et prenait même un certain plaisir à
imaginer la déconvenue de l’homme défiguré voyant mettre en pièces une de ses
créatures par des villageois qu’il tenait sans doute en grand mépris.
Aussi, affermi par cette dernière pensée, sa
résolution fut totale et il reprit sa marche en avant, tenant toujours en ses
bras l’enfant endormi.
Alors lui revint en mémoire la question qu’il
s’était posée peu avant et qui consistait en le fait de savoir s’il eût été
pareillement loup-garou en l’hypothèse où son visage n’eût point été marqué par
l’empreinte de si grande laideur :
— Comment le saurais-je ?… murmura-t-il.
Il comprit alors que lui eût-on laissé la vie
jusqu’en un âge très avancé, ce temps, qui en cet instant où tout allait finir
paraissait irréel, ce temps interminable, donc, n’eût cependant pas suffi pour
répondre à pareille question.
Il savait peu de chose, et ne pouvait
raisonner qu’à partir des blessures qu’on lui avait infligées. Mais parmi
celles-ci, pourtant tellement variées, la plus cruelle fut sans doute tous ces
regards posés sur lui, ces regards qui…
Il eut brusque révélation.
Comment n’y avait-il point songé plus tôt ?…
La chose était certaine : ces regards avaient fait de lui un monstre avant
qu’il ne le devienne tout de bon. Ces regards, où la peur le disputait au
dégoût, l’avaient poussé à devenir un monstre, comme s’il cherchait à ne point
décevoir l’attente des autres.
En sa grande nervosité, il faillit trébucher
et l’enfant se réveilla.
Une fois encore, le tout petit garçon sourit
et avança sa main potelée vers la tête de loup. Puis, en grande douceur, il
caressa le pelage gris et dur.
Ému, « Jaune » n’eut plus qu’un
souhait : qu’on épargne à l’enfant le spectacle de sa mise à mort.
Le moine défiguré se
tourna vers l’ancien lieutenant de police qui menait la traque. La voix, coupante,
laissait deviner, sans doute à dessein, profond mécontentement :
— Ah çà, vous le dites tout proche depuis
dix minutes et je ne vois toujours rien. Auriez vous perdu vos bonnes
dispositions à suivre cette piste pourtant fraîche ?
L’autre ne le regarda pas même.
— Il est proche, vous dis-je. Mais c’est
un loup-garou et, comme tel, il se montre fort habile, prompt à s’adapter au
terrain et retors pour déjouer les pièges. Mais il ne nous échappera pas.
Le moine allait répondre lorsque « Bleu »
tendit le doigt en grondant :
— Hon !… Hon !…
Tous regardèrent en la direction indiquée.
Aussitôt, Aldomontano comprit que sa vengeance
risquait de lui échapper. En effet, « Jaune », qui paraissait
brusquement avoir perdu ses dons prodigieux, marchait droit vers un village où
plus d’une centaine d’hommes, armés de fourches et de faux, semblaient l’attendre
sans cependant oser se porter au devant de lui.
— S’il continue ainsi, il est perdu !…
dit l’ancien officier de police de cette voix toujours empreinte d’un grand calme
qui irritait le moine défiguré, celui-ci étant créature nerveuse.
Ravisant sa colère, il répondit :
— Quel idiot !… Il va droit sur eux
sans les apercevoir.
L’ancien policier se tourna vers lui.
— Sans les apercevoir, dites-vous ?…
En êtes-vous si certain ?
Cette fois, l’ambrosien comprit.
« Jaune » se livrait. Sa fuite,
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