Le Voleur de vent
qu’on puisse pour autant parler de stupéfiante beauté, belle, elle
le devenait, et à l’excès, dès lors qu’elle souriait.
En outre, Nissac ne la voyait point seulement
ainsi qu’elle se trouvait en cet instant mais aussi pistolet au poing ou l’épée
à la main, mèche blonde et rebelle sur le front, affrontant seule et sans trembler
meute de coupe-jarrets.
Si pour tout autre, spectateur que le hasard
eût mené en pareil endroit à cet instant, la passion que ces deux êtres
éprouvaient l’un pour l’autre eût semblé évidente, tant elle était visible, il
n’en allait point pareillement pour madame de Guinzan et le comte de Nissac. En
effet, en ce grand mystère qu’est l’amour, et qui par exemple fait du sage un
fol, souvente fois personne qui en toute autre circonstance semblerait de
grande intelligence perd l’utilité de celle-ci et devient d’aussi peu de
raisonnement qu’un petit enfant.
Ainsi, la baronne se savait éperdue d’amour
pour monsieur de Nissac mais ignorait tout de l’effet qu’elle produisait sur
lui, craignant même de ne susciter qu’un intérêt poli. En le même instant, le
comte savait que se trouvait devant lui la femme qui pouvait illuminer sa vie
mais doutait fort, et en désespérait, de produire semblable effet sur madame de
Guinzan.
Le comte prit l’initiative mais sa voix parut
assez froide, tant il craignait de trahir ses sentiments :
— Quelle étrangeté, madame, de vous
quitter sur mauvaise route pour vous revoir en ce palais !
La baronne lui répondit d’une voix que l’émotion,
mais aussi brusque colère, rendirent sifflante :
— Après rencontre avec le roi. C’est en
effet bien étrange car sans doute n’est-il point imaginable qu’Henri quatrième
me reçoive. C’est bien là ce que vous pensez ?
Le comte de Nissac ne put réprimer un
haut-le-corps et, sans qu’il le devine, la baronne, dès lors, ne douta pas de
sa sincérité lorsqu’il répondit :
— Dieu me garde de penser semblable
vilenie, Madame. Je m’étonnais simplement de ce double hasard : que vous
fussiez ici quand je m’y trouve, et que ce soit au même instant mais jamais je
ne remis en cause qu’il y eut justice à ce que le roi reçoive dame d’un si
grand courage et d’une telle hardiesse.
— Malgré ma noblesse bien petite et des
plus volages ?
Nissac, qui ne comprenait point, répéta :
— Volage ?
Elle lui sourit, le bouleversant à nouveau :
— J’étais baronne voici deux ans, ne l’étais
plus tout à l’heure, et le suis à nouveau par la grâce du roi. Tandis que chez
les Nissac, noblesse remonte à Charlemagne et nul ne le conteste.
Il fut assez perspicace pour noter qu’elle s’était
renseignée sur sa famille, et y vit preuve de l’intérêt qu’elle lui portait. Mais
il ne sut tirer avantage de cette découverte car si, en les choses militaires, monsieur
de Nissac était sans doute le plus fin tacticien et le plus habile manœuvrier
de son temps, en l’amour, tel n’était point le cas.
Cependant, il serait hasardeux de croire que
cette carence tenait à quelque déficience de la part du comte, car pareil
jugement serait erroné et la véritable raison, si elle peut sembler obscure, grandissait
l’amiral : en les choses du cœur, les plus belles et les plus nobles
existant à ses yeux, monsieur de Nissac ne voulait introduire ni calcul ni
manœuvre, mais demeurer en la pureté des sentiments.
Il répondit en souriant :
— Madame, je n’ai point fouillé les vieux
actes, moines l’ont fait à la place de mon père qui avant leur lecture croyait
que nos titres remontaient à Saint-Louis tandis que nous savons, nous, les
Nissac, que nous descendons d’un barbare venu des terres désolées de l’Est le
plus lointain, monté sur haut cheval noir et tenant longue épée. Mais que ma noblesse
remonte à Charlemagne ou Saint-Louis, qu’elle ait trois siècles ou qu’elle en
ait sept, je l’ai trouvée en mon berceau et n’y ai guère mérite. Trop de nobles
sont des canailles et, si un titre se trouve à la naissance, le but de la vie
est de s’en montrer digne par sa conduite. Telle est ma pensée sur ces choses.
Cependant, elle ne put lui répondre car le roi
parut.
Henri quatrième remarqua immédiatement que la
très désirable baronne de Guinzan se trouvait en la compagnie du comte de
Nissac, qu’il haït encore plus fort en songeant : « Comme elle le
regarde !… Quelle chance est la
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