Le Voleur de vent
voix :
— Il est temps !… Que les flammes
fassent leur office !…
Toujours le tirant par les jambes, on traîna
joyeusement le corps sur le bûcher. Un vieillard, un instant, faillit faire
trébucher l’entreprise fallacieuse du prêtre car, s’étant approché du
loup-garou, il clama d’un air épouvanté, et tous l’entendirent :
— Il est mort !… Satan l’a tué de sa
main pour qu’il prît possession d’un autre corps et, en son office, en fit
autre loup-garou !…
Un murmure effaré suivit ces paroles. Dans le
silence, le prêtre se baissa et approcha son oreille de la bouche morte du
loup-garou. Puis, prenant air de grande satisfaction, il se redressa :
— Non, il n’est point mort, prie Notre
Seigneur et se repent !… Mais la voix est faible, il est grand temps de le
brûler !…
On se hâta.
Rapidement, on répandit poix sur le corps et
les fagots avant d’y mettre le feu.
Tous reculèrent.
En les grésillements, et avec fascination, on
vit le corps se redresser à demi mais, si le curé savait qu’il s’agissait d’effet
naturel des muscles sous l’action des flammes, et fût-ce les muscles d’un
cadavre, les villageois, ignorants, y virent bonne manifestation du fait que c’est
bien vif que le loup-garou avait été livré aux flammes et qu’ainsi, les choses
se déroulaient telles qu’elles se devaient.
À l’orée d’un petit
bois, invisibles depuis le village, cinq cavaliers regardaient le corps de « Jaune »
qui partait en fumée.
L’un d’eux empocha bourse alourdie d’or, la
soupesa puis, souriant, l’ancien lieutenant de police tourna bride.
Ne demeurèrent plus alors que le moine
défiguré sur son cheval blême et ses trois loups-garous qui se tenaient très
droit en selle : « Rouge », un noble, et de loin le plus
redoutable ; « Bleu », ancien capitaine d’un régiment d’Auvergne
et « Vert », presque remis de sa blessure.
Curieux, le moine sans visage observa ses
loups-garous, cherchant une réaction qui ne vint pas. Il nota cependant la
grande beauté de ces trois têtes dont les profils se découpaient sur les haies
et les champs, telle une image reproduite à trois reprises.
Aldomontano, qui ne laissait rien échapper, remarqua
alors que « Rouge » resserrait sa main sur ses rênes en un geste qui
traduisait certes l’impuissance, mais aussi la colère. Ainsi, l’ambrosien avait
réussi à créer esprit commun entre ses loups-garous de sorte qu’en sa petite
troupe d’élite chacun se sentît attaché à l’autre.
Satisfait, il lança de sa voix désagréable :
— « Jaune » nous avait certes
trahis, vous comme moi, mais de son vivant, il fut loup-garou. Aussi le
devons-nous venger.
Puis, désignant le village, il ordonna :
— Tuez !… Tuez-les tous !… Tuez
jusqu’à patauger en le sang, tuez jusqu’à l’ivresse, tuez car vous n’êtes venus
en cette vallée de larmes que pour cette fin.
50
La confusion régnait autour du comte de Nissac,
mais davantage encore en son esprit.
Tout d’abord, la duchesse de Medina Sidonia, aussitôt
revenue à elle qu’évanouie et qui, s’approchant, passa sa main sur la joue de l’amiral
en prenant air de chatte et voix chaude pour dire :
— Mon cher, très cher comte !… J’ai
cru que cet assassin vous avait tué !… C’eût été grand dommage pour vous, pour
les femmes et pour l’amour.
Ce que voyant, Isabelle de Guinzan, le regard
étincelant, avait toisé Nissac en disant :
— Je vous laisse en mains expertes et
affectueuses !…
Et s’était éloignée à grands pas tandis que l’amiral,
stupéfait, n’osait la rappeler, trouvant indigne de se justifier et de se
placer en telle obligation de jurer que caresse de la belle Espagnole, abusive,
ne correspondait point à l’état de ses sentiments car il n’avait jamais aimé qu’une
femme en sa vie, et n’en aimerait qu’une, elle, Isabelle de Guinzan. Enfin, et
ce n’était pas là simple détail, il n’avait pas pu exprimer sa gratitude à
celle qu’il aimait et qui venait de lui sauver la vie.
Et comme si tout cela ne suffisait pas à
égarer homme ayant de si peu échappé à la mort, surgissait quand on ne l’attendait
pas, et comme s’il arrivait de la lune, le baron Stéphan de Valenty qu’il avait
laissé la fois dernière en la ville de Toulon !…
Satisfaite de l’effet désastreux que son
apparition venait de causer, la duchesse de Medina Sidonia,
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