Le Voleur de vent
voyant posé sur
elle le regard gris acier dépourvu de toute douceur de l’amiral, préféra s’éclipser
sans même prendre congé.
Resté seul avec Valenty, Nissac lui sourit.
— Heureux de vous revoir, baron, bien que
les circonstances soient des plus étranges.
— C’est que le monde lui-même est des
plus étranges, amiral.
Nissac l’observa plus attentivement.
— Que voulez-vous dire ?
Le baron de Valenty regarda autour de lui, puis :
— Précisément, ce n’est pas à moi de vous
parler et cependant, on doit vous parler.
— Qui est ce « on », baron ?
— Là-dessus non plus je ne puis rien dire.
Les choses sont en grande complication.
— Et vous ne faites rien pour les
simplifier.
— C’est que je ne puis, monsieur le comte.
Chacun en cette affaire des plus graves a sa place, et la mienne est modeste. Mon
rôle consiste en ceci, qui est de vous prévenir qu’un homme va vous parler. Vous
logerez, cette nuit, en la rue de Betisy. Soyez devant la porte à huit heures
et attendez, malgré la nuit tombée. Ne vous fiez point à l’apparence de celui
qui vous abordera, il est beaucoup plus puissant qu’il ne vous semblera. Et
surtout, écoutez-le avec grande attention car il n’est rien au monde de plus
important ni de plus urgent.
Impressionné, Nissac répondit :
— Soit, il en sera ainsi. Mais vous-même,
vous voilà capitaine en les Gardes Françaises ?
Une fois encore, le baron Stéphan de Valenty
regarda autour de lui avec anxiété, puis, baissant la voix :
— Monsieur le comte, bientôt sans doute, ces
choses ne seront plus un mystère pour vous.
— Je n’y vois point mystère, baron, et
suis persuadé que vous ferez honneur aux Gardes Françaises.
— Des dizaines d’autres gentilshommes en
le royaume ont mes mérites, monsieur le comte, et je n’occupe point cette place
par hasard. Mais si je remercie mes amis tels que vous, j’ai appris dès
longtemps à ne point ménager mes ennemis, qu’ils gîtent en ruelles obscures ou
vivent en grands châteaux.
— Pourquoi me dites-vous cela ?
Valenty parla si bas, que sa voix fut presque
un murmure :
— Vous le verrez bientôt, mais soyez sur
vos gardes. J’ignore qui vous a voulu tuer à l’instant et ne doute point que
vous leur ferez bientôt repentir, mais les forces du mal, diaboliques, n’hésitent
pas à se parer des habits de la vertu ou de la religion.
Le comte de Nissac sourit.
— De tout temps, le diable a aimé
barboter en les bénitiers !… Mais ne vous laissez point abuser, Valenty :
il n’est ici bas de forces qui ne soient compréhensibles et explicables. Le
diable… C’est le grand mensonge et ceux qui admettent son existence sont de
facile croyance.
— Pourtant, monsieur le comte, dès
aujourd’hui, soyez sur vos gardes. Méfiez-vous des grandes-duchesses comme des
carognes, des ministres comme des marjaulets.
— Votre émouvante ardeur à me vouloir
sauver de mystérieux périls me touche, baron, et…
Un groupe de Cent Suisses, qui discutaient
depuis un moment, rompit sa réunion et en l’espace dégagé, le comte de Nissac
aperçut la baronne de Guinzan en discussion avec le magistrat d’Orléans.
Il lui sembla alors, bien que le vent fût
glacé, que des souffles légers et tièdes arrivaient du sud, embaumés d’odeurs
printanières.
— Excusez-moi, baron.
— Je vous attendrai, monsieur le comte, car
je vous dois mener en la rue de Betisy.
— Sans doute, baron, sans doute !… répondit
Nissac sans plus écouter Valenty et en s’approchant à grands pas de la baronne.
Ce que voyant, le magistrat d’Orléans, prudent, préféra s’écarter.
— Comment vous remercier, madame ?
— Ne me remerciez point. Vous m’aviez
vous-même sauvé la vie face aux coupe-jarrets.
— Le chose n’est point comparable, madame.
— Et pourquoi donc ?
— Parce que je suis un homme et que vous
êtes une femme.
— La belle affaire que cela !… Lorsque
je tiens l’épée, je suis femme avec une épée et vaux bien des hommes. Qui
regardez-vous ainsi ?
Elle avait suivi le regard du comte. Il sourit
et désigna un homme qui entrait en le Louvre d’un pas peu sûr.
— Cet homme que vous voyez là, assez mal
fagoté, qui n’est point rasé et titube un peu est Nicolas Vauquelin des
Yveteaux. Le connaissez-vous ?
— Je n’ai jamais entendu son nom.
— Ah, il ne le cèle point qu’il est
libertin et bon vivant, mais c’est
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