Le Voleur de vent
parler en premier car ils se trouvaient en semblables
pensées : ils allaient côte à côte, réunis, et n’était-ce point déjà comme
l’orée du bonheur ?
En un endroit de son esprit qui certes n’occupait
pas une très grande place car l’essentiel était consacré à monsieur de Nissac, la
baronne observait petites choses et notamment toilettes des belles dames de la
Cour. Telle celle-ci, portant jupe de drap d’or de Turquie brodée de fleurs d’émeraude,
corps de taffetas de Florence incarnat et crème tandis qu’au moins vingt
étoiles de diamants se trouvaient dispersées en sa chevelure mais cette dame
était la superbe marquise de Verneuil dont le roi, ensorcelé en les pièges
amoureux de cette intrigante, n’avait jamais su se déprendre.
Elle remarqua aussi la tenue des hommes de
Cour, et ne l’aima point. Ainsi de ces étroits chapeaux noirs à court bord
roulé avec pierre et aigrette ou ce gros homme, portant ouverte cape de frise d’Espagne,
chemise de dentelle fine, rubans de soie, anneaux garnis d’opales aux oreilles,
un bouton de chapeau en diamant et rubis mêlés, un autre en améthyste et en
perle. Il riait à ce que lui disait son compagnon et Isabelle constata avec
amusement que suivant mode nouvelle, afin de rendre ses crocs plus éclatants et
sourire plus séduisant, il se servait de poudre d’or sur les dents ; or
dont on ferait meilleur usage, pensa-t-elle, en les familles de pauvres paysans
qui ne mangeaient point à leur faim.
Ailleurs allaient en étrange ballet robes
pourpres des cardinaux et violettes des évêques.
Elle trouva plus émouvant fort âgé gentilhomme
au visage émacié vêtu rudement d’un vieux pourpoint de velours tanné, usé aux
épaules et aux côtes par frottement de la cuirasse, haut-de-chausses de velours
feuilles mortes, collet de maroquin, écharpe de taffetas blanche qui indiquait
vieux partisan du parti d’Henri quatrième lorsqu’il n’était que Navarre et
feutre brun déformé orné d’un panache d’un gris incertain maladroitement
attaché par une médaille.
En sa fine observation, baronne remarqua alors
homme dont le comportement lui sembla étrange par son côté furtif. Choses en
lui contrastaient, indiquant qu’il se souciait peu de sa tenue. Ainsi, s’il
portait chausses d’un vert passé, il se trouvait coiffé de riche chapeau de
velours noir à glands d’or, pourpoint de satin ordinaire, mais très beau collet
de chemise, cape sans éclat descendant à mi-jambes, mais magnifiques bottes en
cuir de Russie…
Tout cela n’allait point en bonne harmonie !
Se sentant observé, malgré la discrétion de la
baronne, l’homme se tourna à demi, feignant d’observer sa montre. Tel objet
pouvait surprendre lui aussi car, avec sa vue exceptionnelle, la baronne
remarqua les matériaux qui constituaient la montre : argent, vermeil, cristal,
à quoi s’ajoutaient miniatures sur le fond du cadran et heures marquées par des
diamants.
Isabelle de Guinzan, avec tous ses frères qui
furent soldats, savait reconnaître un militaire et, si cet homme rude en était
assurément un, cette montre n’était point celle d’un soldat.
À moins qu’on ne lui eût confié si bel objet
le temps d’une mission. Mais quelle mission ?… Au Louvre ?…
D’une stupéfiante rapidité, l’homme se
retourna alors et sa main se détendit, lançant couteau qui fila vers Nissac. Et
sans doute l’eût-il atteint en plein cœur, et avec quelle force, si la baronne,
en très vive réaction, n’avait d’un geste énergique poussé l’amiral.
Déjà, l’homme sautait à cheval et enfonçait
ses éperons en les flancs de sa monture lorsque Stéphan de Valenty, qui venait
de surgir en voyant tout, sortit son pistolet et fit feu hâtivement.
Le colonel Juan de Sotomayor, puisque c’était
lui, sentit que sa monture, touchée, allait s’effondrer.
Avec grande audace, ses pieds quittèrent alors
les étriers et il sauta comme le cheval s’écroulait.
Le colonel espagnol roula sur le sol en figure
qui accompagnait la chute, se releva, un instant hagard, et regarda autour de
lui.
Il avisa alors un officier des Gardes
Françaises qui entrait en le Louvre sans rien savoir de ce qui venait de s’y
passer.
En un saut prodigieux, Sotomayor bondit et
lança son poing au visage de l’officier qui, le recevant au menton, dégringola
de cheval.
Sans perdre un instant, l’Espagnol remplaça le
Garde Française sur la selle et gagna
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