Le Voleur de vent
plaisir et bon contentement.
D’autres, moins nombreux il est vrai, estimaient
très étrange que ce bois de fagots qui semblait pourtant bien sec fût en
réalité si vert qu’il produisait fumée blanche masquant toutes choses en le
bûcher, à quoi s’ajoutait présence de vents tourbillonnants qui jouaient en
grande malignité avec la fumée mais de sorte qu’on n’y vit jamais rien et que l’on
étouffa à demeurer trop près des flammes. Et en leur esprit de penser que le
diable, qui n’abandonne point les siennes créatures, activait les flammes, qui
constituent son élément, pour récupérer l’âme maudite du loup-garou.
Donc, on s’impatientait, se trouvant tous là
du plus jeune au plus âgé, à la seule exception de « l’idiote » que
le curé, sans explications, avait envoyée en la forêt, mais on se souciait fort
peu de connaître raisons d’une telle pénitence car de tout temps « l’idiote »
vivait par l’esprit – le peu que lui avait concédé Dieu – hors le village.
En revanche, on se réjouissait du spectacle à
venir car devant déception des villageois le jeune curé, toujours premier au
combat contre Satan, avait promis que sitôt les flammes retombées, on dirait
messe pour l’enfant amené par le loup-garou et le brûlerait à son tour avant la
fin du jour. Et à la question de savoir s’il fallait le pendre avant, ou lui
trancher le col, le prêtre avait répondu qu’un loup-garou est et demeure tel quel
que soit son âge si bien que celui-ci, qui n’était point enfant volé ainsi que
le prétendait l’homme qui brûlait mais fils de celui-ci, était donc
enfant-loup-garou et devait subir sort commun aux loups-garous ainsi que le
recommande notre très sainte mère l’Église.
Mais cette fois, on choisirait en grand soin
les fagots car enfant brûlé vif est tout de même spectacle recherché et rare. Au
reste, la chose se trouverait facilitée en cela que le bûcher serait fatalement
plus modeste en ses dimensions, car tout petit enfant de deux ans, bien qu’il
soit, croyait-on, encore tout gorgé de lait naturel, et par là risque de brûler
assez mal, s’enflammera tout de même joliment si on l’asperge de plusieurs
seaux de poix.
Déjà, des hommes et des femmes dévoués, les
plus assidus aux offices et très bons catholiques, s’affairaient à déposer
fagots de bonne qualité et bois très sec, car l’idée était tout soudainement
venue au curé qu’il fallait dresser bûcher du fils au côté de celui du père. Et
cela en l’ambition de ne souiller de cendres diaboliques que modeste surface du
sol du village, qu’on retournerait plus tard en y semant du sel avant de l’inonder
d’eau bénite afin de poursuivre âmes noires des loups-garous en les entrailles
de la terre car la chose était acquise : elles tenteraient de s’enfuir en
cette issue vers les enfers pour y retrouver Satan, leur maître.
Le curé regardait tous ces événements en bon
contentement car il n’avait qu’à se louer du zèle de ses paroissiens. Son
prédécesseur, vieux curé aujourd’hui rappelé à Dieu, lui avait conté avec
délice qu’à peine parvenus en le village les échos de la Saint-Barthélemy, on s’était
jeté sur les huguenots pour faire bon office en œuvrant à la gloire de Dieu. Nul
n’avait été épargné, pas même les femmes enceintes et à l’une, dont on avait
ouvert le ventre lors qu’elle vivait encore, on y vit remuer l’enfant, assistant
de près au développement de la graine de Satan qu’on arracha lestement des
entrailles pour le fouler aux pieds. Le pasteur, capturé, fut coupé vif en
quatre morceaux et sa tête, placée en pot de grès, envoyée à l’évêque qui
remercia vivement de cette pieuse pensée.
Seule note sombre, quelques catholiques se
dirent « épouvantés par semblable barbarie » et quittèrent à jamais
ce village.
Tout cela se passait sous le règne de Charles
neuvième, trente-huit ans plus tôt, et certains qui avaient pris part au
massacre vivaient encore, en la considération des autres et en bons serviteurs
de Dieu.
Le curé soupira d’aise car cette affaire de
loups-garous tombait à point pour rendre vigueur à la ferveur religieuse et
assurer en ces lieux incontestable domination de « la vraie foi ».
Son regard satisfait se porta au-delà du
village, vers cette colline proche d’un petit bois où…
Il demeura paralysé par la surprise. Il se
trouvait en pleine conscience que
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