Le Voleur de vent
par
roulement. Monsieur des Ormeaux, vous veillerez à l’approvisionnement mais
attendrez le dernier instant pour embarquer l’eau douce. Il faut changer la
voile de contre-artimon, elle va se rompre sous peu.
Puis, s’adressant à la duchesse :
— Madame, nous ferons diligence pour
reprendre la mer sitôt Le Dragon Vert en état. Nous vous déposerons au
port de Barcelone. Dès tout à l’heure, un cavalier du gouverneur partira pour
Madrid afin d’y annoncer votre prochaine arrivée, et qu’on y soigne l’accueil. Il
faut cependant prévoir ce jourd’huy certain retard, car la manœuvre pour amener
le Santa Maria et le San Francesco aux quais du port de Toulon
sera des plus délicates.
— Garderez-vous ces navires, monsieur l’amiral ?…
demanda la duchesse qui s’en moquait mais voyait là moyen de prolonger la
conversation avec le peu bavard comte de Nissac.
Celui-ci se raidit et ses yeux gris se
durcirent tandis qu’il répondait :
— Ils sont à présent propriété du roi de
France, madame.
— Et les incomparables richesses qui se
trouvent en leurs flancs ?
— Elles appartiennent à la couronne de
France, madame.
Au fond, la duchesse se satisfaisait du fait
que monsieur de Nissac fût si loyal envers son souverain, et si honnête. Mais
elle se plut à provoquer l’homme qu’elle aimait en secret :
— Vous n’ignorez point, monsieur, que ces
navires et leur contenu furent dérobés à l’Espagne par équipages barbaresques. Il
est donc en bon droit et en justice qu’ils retournent en Espagne.
Le vice-amiral la toisa, mais ne fut pas
insensible à son entêtement et à l’air des plus charmants que lui donnait
celui-ci. Cependant, il choisit un ton de grande neutralité, tel qu’il
indiquerait à son second route maritime à suivre :
— Madame, en le droit de la mer, je n’ai
point à considérer ici quels furent jadis les armateurs propriétaires de ces
vaisseaux et de ce qu’ils contiennent. Vous me parlez de l’Espagne, soit, la
chose est belle et bonne mais qui sait si l’Espagne n’a point capturé ces
navires à la flotte anglaise qui elle-même les déroba, plus lointainement
encore à la flotte des pays de Hollande ?… Et quand cela serait vrai, qui
sait si en Hollande ces navires ne furent point achetés par armateur de la
Frise à armateur de la Gueldre, qu’il mal paya, et lequel intenta procès ?…
— Ah çà, monsieur l’amiral, vous allez si
vite en vos mauvaises raisons que la tête me tourne.
— Aussi, j’en achève : ces navires
furent capturés par navire royal du pays de France aux mécomptes des capitaines
barbaresques Bohrange et Van Dick, lesquels ne sont plus en mesure de les
réclamer en la raison qu’en cet instant, ils nourrissent les poissons.
Le vice-amiral se tourna vers le samouraï et
ajouta avec un demi-sourire :
— Ces mêmes poissons que vous mangez tout
crus, monsieur de Yasatsuna.
— Oh la fine pensée ! Voilà bien la
raison pour laquelle ils me semblent assez coriaces, ces temps derniers ! répondit
le seigneur du pays du Soleil Levant.
Tous sourirent, et chacun pensa que le
vice-amiral de Nissac se tirait de l’affaire avec habileté.
La duchesse de Medina Sidonia, malgré elle, sourit
sans doute davantage et plus longtemps que les autres, mais monsieur de Nissac
ne s’en aperçut point : le visage de nouveau impénétrable, il quittait la
pièce à grands pas pour monter sur la dunette.
20
Tandis que Le Dragon Vert, traînant les
deux lourds galions de prise, peinait sur la vague tel un cheval sauvage
entravé, d’autres, qui représentaient la puissance, n’entendaient point servir
le roi Henri quatrième aussi loyalement que monsieur de Nissac, nourrissant au
contraire de sombres projets.
En effet, ailleurs se préparait affaire bien
différente qui, en ces temps, était le plus impardonnable, le plus atroce et le
plus durement châtié des crimes qui se puisse concevoir ici-bas.
Loin, très loin des eaux proches du port de
Toulon, des âmes noires au cœur de suie parcourues des flammes rouges du
fanatisme psalmodiaient étrange psaume :
— Vienne vite la mort !
Disant telles paroles, les créatures hochaient
leurs cagoules de pénitent en satin noir où ne se voyaient que trous percés à l’endroit
des yeux et qui, fermées pour dissimuler la tête, s’achevaient en manière très
pointue.
L’un des comploteurs réunis en cette secrète
assemblée, et qui n’était
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