Le Voleur de vent
Pinthièvre, qui était en l’assemblée
les yeux et les oreilles des Guise, hocha la tête et pareillement madame de
Verneuil qui se trouvait en la grande espérance que le fils qu’elle eut d’Henri
quatrième serait un jour roi de France.
L’ambassadeur continua de promener son regard
sur l’assistance.
La seconde femme présente ne pouvait être que
Léonora Galigaï, la confidente de la reine, flanquée de son mari, l’ambitieux
et fort peu capable Concino Concini. Il eût été utile de savoir si la Galigaï
se trouvait en ce lieu pour son propre compte, ou celui de sa maîtresse, mais l’ambassadeur
ne désespérait pas d’être fixé sur ce point quelque jour prochain.
Son regard effleura Dietrich von Hoflingen, présent
pour les affaires des Habsbourg d’Autriche, et ne s’attarda point sur le
cardinal de Bellany. Puis, continuant son tour de table, il ignora José d’Altamos,
qui le servait en ses affaires délicates, et Jehan de Bayerlin, un colonel aux
chevau-légers qui n’avait point le premier rôle en ce complot.
Le onzième homme, en revanche, l’intéressait
fort, étant le seul dont il ne connaissait point l’identité. D’évidence, le duc
d’Épernon le craignait car, bien qu’il fût pressé par l’ambassadeur, il
refusait en grande obstination de dire le nom de cet homme et les intérêts qu’il
servait.
Le regard scrutateur de l’ambassadeur
considéra longuement le « onzième apôtre » en le complot. La lumière
des bougies posées sur la grande table de chêne se reflétait sous les cagoules
en les yeux de ceux qui formaient le cercle mais l’ambassadeur, dont l’excellence
de la vue était bien connue, se trouva confirmé en la croyance qu’il n’y avait
qu’un œil sous cette cagoule conique.
Un borgne, donc.
Voilà qui devrait permettre de le plus
facilement reconnaître car, pour l’ambassadeur, il n’était point question de se
trouver bailleur de fonds sans connaître tous les participants en l’affaire, les
intérêts qu’ils servaient et les buts visés par les commettants. Ainsi allait
de longue tradition la politique de la très sainte Espagne, poursuivie jusqu’à Philippe III.
Tout de même, ce onzième homme qui parlait peu
possédait un signe qui le distinguait des autres : une petite voix
méchante, fort désagréable à l’oreille.
En grande perplexité, l’ambassadeur se souvint
des paroles du duc d’Épernon :
— Prenez garde, celui-là représente le
point le plus haut de l’État. Ne cherchez surtout pas à percer le mystère dont
il s’entoure.
L’ambassadeur sourit sous sa cagoule de soie
noire et murmura :
— Nous verrons bien !
Sur la dunette du Dragon Vert, le vice-amiral comte de Nissac restait insensible aux clameurs
montant des nombreuses embarcations venues au-devant du valeureux navire qui
peinait à ramener au port de Toulon ses deux imposants captifs, beaux galions
de haute mer.
De la modeste barque de pêche à la galère, on
comptait plus d’une centaine d’embarcations qui faisaient ainsi cortège au Dragon Vert qui régnait, hautain et magnifique, sur les mers du Levant.
Et si tous regardaient le redoutable galion en
grande admiration, ils cherchaient aussi à distinguer sur le pont la silhouette
élégante du vice-amiral de Nissac, marin glorieux et à ce jour toujours
invaincu malgré ses nombreuses campagnes où il n’avait jamais fui le combat, fût-ce
à un contre dix.
Les hommes du Dragon Vert se penchaient
en souriant vers les barques. On riait et s’apostrophait. En l’équipage, on
savourait l’ivresse de la victoire et se trouvait en grand effet de bonheur d’avoir
une nouvelle fois échappé à la mort.
La duchesse de Medina Sidonia remarqua que
même les officiers proches du comte, Paray des Ormeaux, Sousseyrac et Fey des
Étangs, ne dissimulaient point leur plaisir.
Il n’était que deux hommes qui se tenaient à l’écart.
Ainsi, celui qu’on disait seigneur en le pays
du Soleil Levant et qui avait nom Chikamatsu Yasatsuna. Vêtu d’une simple
chemise de lin gris-vert, il regardait le port et la ville sans rien manifester.
Pareillement se trouvait le comte de Nissac, et
la jeune femme fut heureuse qu’une fois encore, l’homme qu’elle aimait
secrètement ne fût point pareil aux autres.
Le visage du comte, ce visage aux joues
creuses et aux pommettes saillantes qu’elle aimait tant, ne marquait aucune
expression si ce n’est, peut-être, une politesse
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