Le Voleur de vent
démêler l’écheveau de ses sentiments et de ses
désirs.
Monsieur de Nissac, avant que de se retirer au
matin, n’avait rien promis – mais rien ne lui fut demandé. Cependant, à cette
manière subtile, la duchesse comprenait que, pour le comte, cette aventure
devait rester sans lendemains. Ce qui les séparait, à commencer par leurs pays
respectifs, ne se pouvait comparer qu’à gouffre immense et, pour le combler, il
eût fallu passion telle qu’on y sacrifia bien des choses, ce qu’elle ne
souhaitait pas, et lui non plus sans doute.
Elle se savait jeune et belle. Elle aimait
plaire. Plaire à monsieur de Nissac, certes, mais point à lui seul.
Elle se le voulait attaché, supportant
affreusement mal qu’il donne semblable bonheur à autre femme et aime ailleurs, mais
elle-même ne souhaitait rien plus ardemment que de rester libre afin de
découvrir en ses menus détails l’amour en toute sa variété. Elle voulait le
comte de Nissac à ses pieds, elle demeurant debout pour voir s’il ne se
présentait point homme aussi merveilleux et qui sait, davantage encore que ce
premier amant.
Et dans tous les cas, ce qu’elle ne voulait
absolument pas, spectacle entre tous horrifique, c’eût été de voir le
vice-amiral en aimer une autre.
Aussi décida-t-elle de lui jouer comédie à sa
façon, de sorte qu’elle ne le perdît point.
Que ce fût lorsqu’il
réunissait son conseil, ou s’entretenait de personne à personne, Henri
quatrième détestait se trouver assis à une table, préférant se promener en les
jardins de Tuileries où, l’air vif aidant, les idées lui venaient plus
rapidement et paraissaient de meilleur effet.
En cette matinée très froide, il allait de son
large pas de soldat tandis qu’à ses côtés, le Père Coton, son confesseur, tentait
difficilement de le suivre.
Le monarque, qui avait par instants de ces
petites cruautés en lesquelles s’abaissent souvente fois les rois, feignait de
ne point entendre respiration courte et sifflante du jésuite et, maîtrisant mal
énervement, il s’emporta à demi : – Ah çà, quel vilain tour me joue-t-on
là ?… Complot s’ourdit contre moi, soit, un de plus, le centième, peut-être…
On me convainc, bien que je fusse réticent, de prévenir celui-là qui serait de
qualité différente et de plus grand danger. J’accepte, en partie pour ne vous
point froisser, et qui me suggérez-vous pour briser le cercle des comploteurs ?…
Nissac !…
— Monsieur le vice-amiral de Nissac est
très grand marin, sire !… plaida le jésuite.
— La mer est sans doute le seul endroit
où l’on ne complote pas contre moi alors qu’on ne manque point de le faire
partout ailleurs en le royaume !… Ici même, sans doute, et en bien des
quartiers de Paris. Votre Nissac y sera perdu.
— Monsieur le vice-amiral vole de
victoire en victoire.
— Soit. C’est parfait. Je le fais amiral
à part entière ce jour. Êtes-vous heureux ?
— Mais sire, il couvre votre nom de la
gloire la mieux établie qui soit en les mers du Levant, on respecte et craint
votre pavillon, il tient le sabre comme personne, son équipage est une
merveille de l’art militaire : que peut-on souhaiter de plus ?
Le roi, en son for intérieur, n’était point
insensible aux paroles du Père Coton. S’il se fût agi de tout autre que Nissac,
il eût convenu de son contentement avec chaleur, devant l’intéressé au sommet
de sa gloire, le faisant sans doute maréchal – et l’amiral le méritait. Mais
pour son malheur, celui-ci se trouvait témoin fâcheux qu’il eût parfois
souhaité mort, ayant entraîné la magnifique charge de Fontaine-Française dont
lui, Henri quatrième, avait usurpé la gloire. Le roi chercha donc à biaiser
mais, pris de court, il ne savait comment faire et cela participait de son
énervement.
Le jésuite, lui, interpréta ce silence comme
un fléchissement de la volonté royale.
— Sire, les renseignements arrivent, et
arriveront sans doute de plus en plus à mesure que nous pénétrerons en le cœur
du complot. Mais puisque Votre Majesté ne souhaite point réagir publiquement et
montrer sa défense, il nous faut un homme discret, de premier ordre en les
choses militaires et prêt à donner sa vie. Monsieur le comte de Nissac est bien
le seul qui réunisse en un seul homme toutes ces qualités.
— C’est un marin !
— Sire, il a montré à Barcelone, sur
cheval aveugle, quel cavalier il est et homme qui
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