Le Voleur de vent
brouillées.
Monsieur des Ormeaux, en grande joie de cet
audacieux coup de main comme l’équipage l’était lui-même, s’enhardit alors
jusqu’à demander :
— Pavillon à fleurs de lys, pavillon
rouge, pavillon noir, espagnol, anglais : ah çà, monsieur l’amiral, quel
pavillon devons-nous hisser, à présent ?
Deux cents hommes, la fine fleur militaire du
royaume de France, attendaient la réponse de l’impénétrable monsieur de Nissac.
Ses yeux gris, indéchiffrables, s’attardèrent
sur les côtes d’Afrique mais il ne put s’empêcher d’ébaucher vague sourire en
répondant :
— Monsieur des Ormeaux, considérant que
nombreuses femmes, mariées ou pas, attendent cet équipage courageux en le port
de Toulon, je suggère qu’on hisse belle chemise de toile de Hollande de
monsieur le lieutenant Fey des Étangs, afin que vos intentions soient connues
des intéressées.
Ainsi fut-il fait, pour la plus grande joie de
l’équipage qui se divertit fort à voir le beau lieutenant Martin Fey des Étangs
grimper tel un singe au grand mât afin d’y récupérer sa chemise.
33
La chose s’était discutée, souvente fois
âprement, et jusqu’à l’Escurial, entre le roi et ses conseillers puis l’un d’eux
suggérant que le roi de France n’était rien d’autre qu’un vieux bouc
éternellement en rut, il ne semblait finalement pas de si mauvaise politique de
laisser partir pour Paris la très belle et très jeune duchesse Inès de Medina
Sidonia. Ainsi l’Espagne compterait ambassadrice ravissante quoiqu’officieuse
qui sans rien donner, étant grande dame et espagnole, pourrait égarer le
jugement du « vieux bouc puant » qu’en ces lieux on nommait également
« faux converti », « renégat », « apostat »,
« relaps » et de bien d’autres noms encore pourvu seulement qu’ils
soient tous insultants et mettent en doute la sincérité religieuse d’Henri
quatrième.
Ainsi fut-il fait, la duchesse dûment
chapitrée par ces hommes sinistres, maigres, vêtus de noir et en grande
occupation de conseiller le roi. Il fut dit à la jeune femme d’écouter beaucoup,
avec attention, mais sans trop parler, et de ne point omettre d’ouvrir les yeux
sur toutes choses pouvant intéresser l’Espagne. Car, en ce pays magnifique et
violent, espionnage se trouvait pratique fort répandue qui ne semblait point
vile en bien des cas, les moines s’y livrant avec ferveur religieuse, les
seigneurs par ambition et goût du frisson, les militaires par habitude, les
diplomates par vocation, si bien qu’il n’était guère que ceux qui exigeaient or
contre renseignements que l’on méprisât, et bien à tort, car en faisant
profession de l’espionnage, eux et leurs « mouches [14] » s’y montraient généralement habiles et bien meilleurs que les
nobles amateurs.
Appliquée en cette nouvelle pratique, la
duchesse nota certaine effervescence à la frontière où l’on se montrait très
nerveux de part et d’autre mais, constatant la chose, la jeune femme oublia ses
leçons tant elle mesurait avec frayeur ce que cette situation, qui annonçait la
guerre, signifiait pour elle et monsieur de Nissac. Alors même qu’elle venait
de remuer les sommets dorés de la Très Sainte Espagne pour revoir celui qui
avait illuminé sa première nuit d’amour, la guerre entre leurs deux pays allait
les arracher l’un à l’autre.
Le carrosse espagnol traversait la Beauce
glacée et, se retournant, la duchesse constata avec dépit que son bagage, soit
cinq voitures, ne suivait pas, ou avec retard. Il ne restait plus qu’à espérer
qu’il ne tomberait point entre les mains de brigands et, une fois en les murs
de Paris, que les cochers trouveraient cette rue des Petits-Champs où se
situait bel hôtel particulier appartenant à la couronne d’Espagne par banquier
interposé, là même où elle s’en allait vivre quelque temps.
Revoir le comte de Nissac !…
Elle n’y pensait pas sans effarement. Certes, il
avait pris l’initiative de leur premier baiser, mais après qu’elle l’eut
provoqué.
Elle soupira. Monsieur de Nissac s’était
montré merveilleux amant, ardent et délicat, mais tous les hommes ne se
montraient-ils pas en pareille disposition ?… Et comment le savoir, sauf à
prendre autres amants ?
Cette idée, qui se présentait à elle pour la
première fois, la troublait, l’irritait et la ravissait, si bien qu’elle
éprouvait grande difficulté à
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