Le Voleur de vent
s’activer derrière les sabords où l’artillerie s’apprêtait
à donner de la voix.
Le Dragon Vert, qui filait droit sur la
vague, ne pouvait que se laisser prendre au dépourvu par semblable piège, d’autant
que les vents devenaient incertains et confus.
Un jeune charpentier du bord, qui ne se
trouvait point en grande ancienneté sur le vaisseau royal, lança :
— Barbaresque qui passe à l’attaque est
autre chose que foutre duchesse espagnole !
Le marin qui se trouvait à sa gauche le gifla
en disant calmement :
— Monsieur l’amiral sait sans doute s’occuper
des femmes, espagnoles ou pas, sans que tu te mêles de la chose.
Et le marin qui se trouvait à la droite de l’imprudent
le gifla à son tour en ajoutant sans élever la voix :
— Monsieur l’amiral sait recevoir le
barbaresque sans point que tu donnes ton avis.
Et, pour clore l’affaire, la victime reçut
enfin coup de pied au cul tandis qu’une voix tonnait en son dos :
— Tais-toi, regarde et admire la manœuvre.
Mais qu’y avait-il à voir ?
En vérité, fort peu de chose !… Le comte de
Nissac, immobile telle une statue, observait froidement l’approche de la flûte
qui se ruait en la charge.
Les yeux gris, où nul n’aurait pu lire la
moindre expression ni déchiffrer l’ombre d’une émotion, regardaient venir l’adversaire
qui se trouvait en l’avantage de l’initiative.
Rien n’arrivait, et le temps semblait suspendu
à bord du Dragon Vert.
En leurs sabords, les canonniers échangeaient
regards inquiets. Sur le pont, l’infanterie d’assaut casquée n’osait risquer un
mot, monsieur de Sousseyrac veillant à son petit monde, mais l’on n’en pensait
pas moins. Les marins, et même les plus anciens, commençaient à trouver le
temps bien long. Les officiers, rigides, attendaient eux aussi les ordres, en
espérant qu’ils viendraient.
Il ne se trouvait guère que le seigneur
Yasatsuna à ne point être dévoré par l’angoisse. Vêtu de son armure, le sabre à
la main, il regardait venir les barbaresques comme s’il les voulait manger.
Puis, alors que les vents soufflaient en
tourbillon, inutilisables, et qu’on désespérait de partout, la voix métallique
du vice-amiral de Nissac claqua en le silence :
— Le hanneton !…
Brève fut la stupeur, tant l’ordre était rare,
mais des plus vives la réaction tandis qu’un vieux marin de Paimpol, bouche
édentée grande ouverte en un effarant sourire, montrait le ciel en disant :
— Les vents tournants !…
Et tous crurent entrevoir ce qui allait
advenir.
L’avaient-ils maudite, cette manœuvre jamais
encore employée au combat, qui ressemblait à un ballet des plus compliqués où
tous dépendaient de chacun et le vaisseau de ces fous vents tournants !
Marins se répandaient partout en les voiles et
la mâture, à la vitesse de l’éclair. On s’activait tels des fols sur les
enfléchures, veillant à tout ce qui soutenait la voile : vergues, rabans, drisses,
itagues, écoutes, balancines, martinets, cargues, racages, haubans… Et les
voiles se gonflaient ou s’abattaient plusieurs fois en la même minute selon les
lois du « hanneton » inventées par le vice-amiral de Nissac.
En cet instant, sur le barbaresque où l’on
devait fort se divertir de cette agitation comprise comme de la confusion, on n’eût
pas parié cher sur les chances du légendaire Dragon Vert qui, en cette
panique, tournait sur lui-même de plus en plus follement et de plus en plus
vite, tel ce jouet inventé voilà peu et qu’on appelait « toupie ».
Tenant assez mal le vent mais artillerie aux
aguets, la flûte arrivait droit sur Le Dragon Vert défait, incontrôlable,
qui tournait follement sur lui-même.
Puis, du côté profane, on comprit enfin, mais
un peu tard…
Le Dragon Vert ouvrit le feu, et par l’autre sabord, et de nouveau par le bord, et l’autre !…
Ce n’était plus navire mais masse de canons tournant à folle allure, feu
continu, inatteignable, ajustant tir d’une remarquable précision !… C’était
manœuvre du diable, jamais vue avant monsieur de Nissac et que l’on ne verrait
plus par la suite en l’histoire de l’humanité car, au cœur des vents tournants,
le galion faisait tour sur lui-même à la vitesse d’un coursier, réussissant
deux tirs de chaque bord en un seul tour.
Monsieur le lieutenant Martin Fey des Étangs, qui
finirait grand capitaine, regardait exécution du « hanneton »
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