Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
ai donc transmis par courrier électronique une copie de la liste que m’avait montrée Gisèle Niango : celle des 17 enfants rapatriés d’Allemagne à Commercy, dans la Meuse, en 1946. Ces 17 noms étaient-ils recensés à Bad Arolsen ? Comment savoir qui, parmi ces bambins, provenait de l’organisation L ? Les réponses me parvinrent au bout de quelques jours.
Douze de ces enfants figuraient dans les archives de la Croix-Rouge. Mais pour connaître le détail de leur parcours, je devais venir consulter les dossiers sur place. Kathrin avait joint à son message un document, en anglais, rédigé en mai 1946, par les équipes de secours des Nations Unies. C’était une liste de 162 enfants retrouvés au Lebensborn de Steinhöring au début du mois de mai 1945. Ce document n’était pas complet – il y manquait visiblement quatre pages et il ne comprenait que 98 noms – mais il constituait une source précieuse. En tête de la première page, un avertissement attirait l’attention : « Il est possible que parmi ces enfants se trouvent ceux qui ont été déportés de Lidice et dont les noms ont été changés. » L’histoire de Lidice, un village de l’ancienne Tchécoslovaquie, est a priori très éloignée de celle des enfants que je recherchais. Elle symbolise pourtant l’essence même du Lebensborn : faire croître la « race supérieure » sur des terres débarrassées de tout être « nuisible ».
Le 27 mai 1942, à Prague, Reinhard Heydrich, le chef de l’Office central de sécurité du Reich, le planificateur de l’extermination des juifs et, par ailleurs, gouverneur-adjoint de Bohême-Moravie, est mitraillé dans sa voiture par trois résistants tchèques. Grièvement blessé, il succombe le 4 juin suivant d’une septicémie. La mort d’Heydrich, le « cerveau » de Heinrich Himmler, est une catastrophe pour les hiérarques nazis. Ils vont y répondre de manière terrifiante et totalement aveugle. À partir de l’été 1942, ils accélèrent le processus de déportation et d’assassinat de tous les juifs de Pologne. Nom de code : « Aktion Reinhard », en hommage à Heydrich. Aucun juif n’est pourtant impliqué dans l’attentat. Mais, pour les maîtres du Reich, les juifs sont, par nature, responsables de tous les maux. Il faut aussi très rapidement marquer les esprits dans la population tchèque. Le 10 juin, Lidice, un village de mineurs, à vingt kilomètres de Prague, est encerclé. La population rassemblée. Cent soixante-treize hommes sont fusillés sur le champ, d’autres le seront plus tard, à leur retour du travail. Le village est entièrement rasé. Les femmes et les enfants sont tout d’abord transférés dans une petite ville voisine. Cent quatre-vingt-seize mères de famille et jeunes femmes seront finalement emmenées par camions au camp de concentration de Ravensbrück, en Allemagne. Les enfants ? Himmler estime qu’ils risquent de vouloir se venger un jour. En particulier ceux de « bonne race », susceptibles de devenir les plus dangereux. Les jeunes enfants de Lidice sont alors examinés. Quatre-vingt-deux, décrétés « inaptes », sont envoyés dans des camps polonais, dont Chełmno, lieu d’extermination. Seuls sept enfants, « racialement valables », sont épargnés. Ils vont être confiés au Lebensborn . Heinrich Himmler se tiendra personnellement informé de leur cas. Placés dans des foyers avec des petits polonais et hongrois afin d’être germanisés, ces enfants seront par la suite confiés à des familles nazies. Trois d’entre eux, Vaclav Hanf, huit ans en juin 1942, sa sœur Maria et Maria Dolezalova, ont témoigné après-guerre de cette sélection abominable, seule alternative à la mort…
Après vérifications, la liste que m’avait envoyée Kathrin ne renvoyait à aucun enfant de Lidice. Mais elle comprenait huit noms que je connaissais déjà. Outre Walter Beausert et Gisèle Magula, six autres enfants rapatriés dans la Meuse, en 1946, avaient bien été retrouvés à Steinhöring. Une différence saisissante apparaissait pourtant entre les deux documents : certains prénoms avaient été francisés au moment de leur rapatriement. À coup sûr pour éviter les réactions d’hostilité que susciteraient des noms « boches » dans la population. Songard et Ute étaient ainsi devenues Dominique ; Ingrid s’appelait désormais Irène et Gisela, Gisèle… Pour Hans Georg, on avait retenu Georges. Par
Weitere Kostenlose Bücher