Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
Gisèle Niango a grandi sur cette terre labourée par les guerres. Elle habite aujourd’hui un drôle d’appartement sur deux étages, à quelques hectomètres de la place Stanislas, sublime symbole de la Lorraine triomphante du XVIII e siècle.
Gisèle est un petit bout de femme volontaire, énergique, sensible. Sa mémoire est à vif, mais elle a la force de plaisanter sur sa mystérieuse ascendance. Elle avait 10 ans quand des gamins de Jouy-sous-les-Côtes, le village de son enfance, dans la Meuse, lui ont dit que ses parents, Adolphe Marc et Marie-Thérèse Laurent, n’étaient pas ses véritables parents. Ces derniers lui ont expliqué qu’ils l’avaient adoptée, en 1948, deux ans après l’avoir recueillie chez eux. Ils lui ont alors montré le dossier provenant de l’Assistance publique. De temps à autre, la petite fille s’enfermait dans un placard pour lire son « vrai » nom qui figure sur son attestation de naissance : « Gisela Magula ». Elle a fini par brûler son dossier et oublier toute cette histoire… La douleur s’est réveillée bien plus tard, lors du décès de sa mère adoptive, en juin 2004. Gisèle réunit le soir même ses trois fils et sa fille pour leur révéler, « rouge de confusion », m’avoue-t-elle, qu’elle est une enfant adoptée. À partir de là, elle entame des recherches qui vont la mener de surprises en surprises. Interrogée, sa cousine Micheline, qui vit toujours à Jouy-sous-les-Côtes, lui confie : « Quand tu es arrivée ici, tu parlais allemand… Mes parents ont conduit les tiens, en voiture, pour te chercher à l’orphelinat de Commercy. Un train t’avait déposée là-bas… » Quelque temps plus tard, cette même cousine lui annonce que, aux obsèques d’un ancien instituteur, elle a fait la connaissance d’un monsieur arrivé à Commercy dans les mêmes circonstances que Gisèle. L’homme en question, c’est Walter Beausert. Gisèle le rencontrera. C’est lors de ce rendez-vous qu’il lui présente deux documents. Le premier est une liste de 17 noms. Dix-sept enfants arrivés à Commercy, en août 1946, et placé à l’Assistance publique de la Meuse. Le plus jeune avait 11 mois, la plus « âgée » moins de quatre ans. Le second papier est la copie d’un jugement du tribunal de Bar-le-Duc, la préfecture du département, en date du 19 mai 1947. Ce jour-là, les 17 enfants sont déclarés nés dans cette ville. En fait, ils ont été rapatriés en train depuis l’Allemagne. Walter et Gisèle font partie de la liste.
À partir de sa rencontre avec Walter, les éléments de réponse se succèdent. Gisèle consulte son dossier de l’Assistance publique. En janvier 2006, une lettre de la Croix-Rouge lui apporte la « clarification de [ses] origines » : « Magula Gisela, née le 11.10.1943 à Wégimont ( Lebensborn Ardennen ) de nationalité française, noms des parents inconnus, de religion catholique, a été enregistrée en tant qu’enfant seul, le 29 novembre 1945 par l’UNRRA au couvent d’Indersdorf et baptisée, le 14 décembre 1945, dans la chapelle du foyer pour mères et enfants de Steinhöring, selon le rite catholique. » Le courrier ajoute : « Nos documents ne comportant aucune indication sur vos parents biologiques, nous ne sommes malheureusement pas en mesure d’effectuer des recherches pour les retrouver. » Mais Gisèle va rapidement identifier la piste d’une famille E., en Belgique. Elle prend alors contact avec une certaine… Gisèle E. Née le 22 mars 1942 à Bruxelles, cette femme est très probablement sa sœur aînée, peut-être sa demi-sœur. Le jour de leur rencontre, elles remarquent toutes les deux qu’elles ont une caractéristique physique commune : la deuxième phalange de leurs pouces est aplatie et plus courte que la normale. Une anomalie génétique qui, apprendront-elles, se transmet héréditairement par les femmes. L’histoire se précise. La mère de cette deuxième Gisèle E. s’appelait Gabrielle. Elle avait vu le jour en Hongrie, à Budapest, en 1919. Gabrielle, surnommée « Ella » par ses parents, avait une petite sœur, Marguerite, de deux ans sa cadette. En 1926, la famille E. émigre en Belgique et s’installe à Bruxelles. Une sœur de Margit, la mère, y est déjà établie et a épousé un Belge. Margit fait des ménages. Le père, Paul, trouve un emploi de domestique, puis de chauffeur. Dans les années 1930, ils vivent chichement – lui est
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