Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
payé 500 francs belges, elle 300 –, mais ils sont nourris et logés. À cette époque, Paul E., atteint par la tuberculose, commence à effectuer des séjours réguliers dans un sanatorium d’Alsemberg, à quelques kilomètres au sud de la capitale. Son état de santé est suffisamment inquiétant pour qu’on lui accorde la gratuité des soins. C’est le début d’une lente dislocation de la famille. Le père meurt le 14 avril 1941 à Alsemberg.
Sous l’Occupation, « Ella », l’aînée, commence à fréquenter un Allemand. En fait, il était autrichien, venait de Klagenfurt et s’appelait Albert Starck. Il faisait partie de la Gestapo, à Bruxelles, selon ce que Gisèle Niango tient de sa sœur. Nous ne savons rien de plus de leur relation, si ce n’est qu’Ella, travaillant comme aide-comptable, accouche le 22 mars 1942 à une heure du matin, à l’hôpital universitaire Saint-Pierre. La petite fille se prénomme Gisèle. À partir de là, l’histoire devient confuse. En 1943, « Ella » serait partie travailler en Allemagne. Était-ce pour suivre Albert Starck, appelé à d’autres fonctions ? Pourquoi est-elle ensuite revenue en Belgique pour accoucher au Lebensborn du château de Wégimont, le 11 octobre 1943, d’une seconde petite fille prénommée Gisela ? Mystère. Gabrielle, « Ella », est décédée à Huy, près de Liège et de Wégimont, en juin 2005. Quelques mois avant que Gisèle Niango ne retrouve sa trace.
Gisèle a poursuivi ses recherches, animée parce qu’elle décrit comme une « rage ». Rage de savoir. Rage de comprendre. Elle a écrit aux archives du service des victimes de la guerre, dépendant de la sécurité sociale belge. Rien. Elle a demandé un extrait de naissance à la municipalité de Soumagne, où se trouve Wégimont, mais elle ne figure pas sur les registres d’état civil de la commune. Elle a écrit au maire de Klagenfurt, en Autriche, pour demander des renseignements sur Alfred Starck. La réponse tient en une ligne : « Sur la base des indications fournies, la recherche de cette identité n’est pas suffisamment définissable »… Gisèle est allée en Bavière, à Indersdorf, là où elle était en 1945, comme Walter, comme beaucoup d’autres. « Savoir que l’on est né dans un Lebensborn est une souffrance inexplicable, me confie-t-elle, devant les piles de courriers, de photos, de reproductions d’archives étalés sur la table de son salon. Nous sommes déchirés entre le fait d’être des victimes innocentes et la honte d’avoir été conçus pour servir une idéologie monstrueuse. » Elle se reprend et s’exclame : « En tout cas, avec moi, papa Hitler a raté son coup ! » Car, en 1972, Gisèle Marc-Laurent, née Magula, a épousé, à Nancy, Justin Niango, un étudiant ivoirien. Leurs quatre enfants sont infographiste, avocat, chirurgien, agrégé de philosophie. Bien qu’elle ne le dise pas, on sent qu’elle est très fière d’eux. Le décès de son époux, en octobre 2008, a tout chamboulé. Gisèle s’est retrouvée seule dans l’appartement de Nancy. Puis, peu à peu, la vie est revenue. Chaque année, elle se rend en Côte d’Ivoire, dans le village natal de Justin, à 60 kilomètres de la frontière ghanéenne. C’est dans le mouvement qu’elle trouve son équilibre.
En mars 2009, la « rage » lui est revenue. Elle a repris le cours de son enquête. À la fin du mois de mai suivant, j’avais rédigé pour L’Express 1 un article sur les enfants français du Lebensborn . Le sujet suscitait un mélange de curiosité et d’incrédulité. Quelques jours avant sa parution, j’ai reçu un appel de Gisèle Niango. Une information déroutante lui était parvenue de Belgique : « Ella » E. ne pouvait pas être sa mère. Elle n’en savait pas plus. Elle devait remettre à plat l’ensemble de ses recherches. J’ai alors décidé de prolonger les miennes.
1 - L’Express , « La Fabrique des enfants parfaits », 28 mai 2009.
IV
Aux archives de l’horreur
Il fallait de nouveau enfiler des gants de coton blanc. Autrement dit, retourner aux archives du Service international de recherches de la Croix-Rouge, à Bad Arolsen. Mais, avant de m’y rendre, j’ai demandé à Kathrin Flor, l’attachée de presse du service, d’effectuer quelques vérifications préalables. Sa disponibilité et sa volonté de me simplifier les démarches allaient me faire gagner beaucoup de temps. Je lui
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