Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
Elle s’appelait Rita, avait 17 ans et était employée aux cuisines. Elle avait déjà un enfant, d’un soldat allemand. Sur une autre photo, on voit le couple, côte à côte, souriant, elle en blouse, lui en uniforme. À la fin de 1994, Walter a localisé Rita P., à Spa, à une trentaine de kilomètres de Soumagne et du château de Wégimont. Il a sonné chez elle un soir, vers 20 heures : « Elle n’a pas prononcé la phrase que j’attendais : “Tu es mon fils…” Mais elle ne lâchait pas mon bras. Et elle m’a livré tellement de détails… »
En 1941, Rita avait rencontré un caporal de la Wermacht, qui, semble-t-il, travaillait pour l’organisation Todt, le groupe industriel chargé des grands chantiers du régime nazi. L’homme s’appelait Hans Rudolf Adolf L. et était né en 1906 à Cumbach (Thuringe), près de la frontière tchèque. Ils ont eu un premier enfant : Walter Rudolf, qui a été confié aux parents de Rita. « En fait, moi, je devais m’appeler Rudolf Walter », explique monsieur Beausert, qui a fini par rencontrer, dans les années 1990, le « premier » Walter, son frère aîné.
Rita n’a travaillé que quelques mois à Wégimont, à partir de la fin de 1943. Au début, elle habitait encore chez ses parents, au hameau de Soumagne-Bas. Ensuite, elle a pu partager une chambre dans une dépendance du château, avec une autre employée. C’est cette femme, Marie B., qui a raconté cinquante et une années plus tard à Walter qu’il était né en juin 1943, et non en 1944. Le 20 juin, lui a laissé entendre sa mère. Rita transportait le nourrisson toute la journée dans un couffin. Un jour, le petit Walter s’est blessé à l’œil en tombant de son lit.
En novembre 1943, Hans L. a été envoyé sur le front russe. Que se sont dits à ce moment le soldat allemand et la jeune fille belge ? Ont-ils échangé des serments ? Croyaient-ils se retrouver après la guerre ? Nous n’en savons rien. Blessé, Hans a été fait prisonnier par les Soviétiques. La paix revenue, il est rentré chez lui, en Allemagne. Il s’est marié en 1949 à Rudolstadt, tout près de Cumbach, dans ce qui était devenu la RDA. Il a eu deux filles et un garçon. Apparemment, il avait une photo de Walter Rudolf dans son portefeuille. Bien longtemps après, il avait d’ailleurs avoué à son épouse avoir eu deux enfants en Belgique, pendant la guerre.
Qu’est-il arrivé à ces deux petits ? Le 1 er septembre 1944, à l’approche des troupes américaines, les SS décident d’évacuer Wégimont. Dans la précipitation, ils embarquent tous les petits. Walter Beausert est-il emmené parce que son père est allemand ? Est-il pris par erreur, du fait de la confusion qui règne au château ? À ce moment-là, son frère aîné, âgé de trois ans, est à l’abri chez leurs grands-parents. Walter, lui, se retrouve en Allemagne. Il n’en reviendra qu’en 1946 – nous verrons dans quelles circonstances – et n’apprendra la vérité qu’au bout d’un demi-siècle… Un jour de 1998, son frère belge lui a téléphoné : « Notre maman est morte. »
Walter n’en a pas fini avec le Lebensborn . Depuis une dizaine d’années, il raconte son histoire dans des collèges de l’est de la France. Il fait également partie d’une association qui milite pour la reconnaissance des enfants franco-allemands nés pendant la guerre. Il a aussi aidé de nombreuses personnes placées à l’Assistance publique à retrouver leurs origines.
Ce jour-là, je sentais que monsieur Beausert avait encore des foules de choses à me raconter. Mais, le lendemain, j’avais rendez-vous avec Gisèle, une autre enfant de Wégimont. C’est Walter qui m’a parlé d’elle.
J’ai repris la route vers l’est. Le long des 66 kilomètres qui défilent entre Nançois-le-Grand et Nancy, on croise des petits villages aux noms oubliés, Saulvaux, Saux-en-Barrois, Menil-la-Horgne ou Vois-Vacon ; des territoires qui ont connu trois invasions allemandes le temps d’une vie d’homme ; des étendues couvertes de champs de bataille, de cimetières militaires et de monuments aux morts. La Meuse, la Meurthe-et-Moselle, en Lorraine. Une France du silence. À partir des années 1980, on y a d’abord fermé les usines. Après les bureaux de poste, on y ferme maintenant les casernes. Voici le tour des tribunaux et des hôpitaux. Bientôt les petites gares. Ensuite, il ne restera qu’à fermer la région.
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