Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
Avignon, il parle l’allemand, comprend le provençal, collectionne les pièces romaines et écoute Léonard Cohen.
Ce jour de mai, de son accent chantant, il m’annonce d’emblée au téléphone : « En fouillant dans les affaires de M’man, j’ai trouvé des photos. » Il y en avait huit en tout. Il me les a brièvement décrites.
La famille Grinski au complet, dans le Gard, un jour de fête, dans les années 1920 : les grands-parents d’Erwin et leurs quatre enfants, dont Élisabeth, sa mère, alors encore adolescente.
La façade d’un immeuble, à Dortmund, en Allemagne, où vivaient les tantes d’Élisabeth, avec leurs époux respectifs, avant-guerre.
Élisabeth encore, posant avec une inconnue et une petite fille.
Erwin, à l’âge de douze ans environ, blond et tout en jambes, en short et tee-shirt blanc. Il est en colonie de vacances. À ses côtés, un petit camarade et la mère de ce dernier.
Les quatre autres photographies bordées par un contour dentelé étaient autrement plus mystérieuses. J’ai senti qu’il fallait retourner en Avignon.
Nous voici de nouveau attablés devant une tasse de café dans le salon d’Erwin. Les rideaux sont tirés, comme la fois précédente. Il examine les photos avec sa loupe, puis me les tend.
Les deux premières représentent deux couples, assis côte à côte, dans l’herbe tout d’abord, puis sur un banc. Ils regardent tous les quatre l’objectif et sourient. Les couples ne sont pas du même âge. La femme la plus jeune est Élisabeth Grinski, la mère d’Erwin. Elle a 33 ans. L’homme en uniforme qu’elle tient par le cou est donc Erwin Schmitt, le géniteur d’Erwin Grinski. L’homme porte une tenue militaire : chemise claire, peut-être grise, cravate et pantalon gris foncé, surligné par un liséré plus pâle. Il a entre 30 ans et 40 ans.
Maintenant, l’autre couple. Ils ont la cinquantaine et sont à coup sûr allemands. Elle a une tenue blanche d’infirmière et arbore une broche circulaire, décorée d’une croix, sur le col de sa blouse. Lui est revêtu d’un costume sombre, d’aspect martial. Sur le revers de sa veste, est épinglé un petit insigne triangulaire.
La présence de cette infirmière allemande aux côtés des parents d’Erwin faisait immédiatement surgir des questions : ce couple travaillait-il pour le Lebensborn ? Les photos avaient-elles été prises à Lamorlaye ou dans les environs ? Difficile à dire a priori. Il y avait encore deux autres photographies dans le petit paquet retrouvé par Erwin.
Sur la première, dix femmes posent en rang, dans un grand jardin ou dans un champ : quatre au premier rang, six au second. Les quatre femmes de devant sont apprêtées – jupe, chemisier et chapeau. Parmi les six autres femmes, debout, trois portent une sorte d’uniforme, avec jupe longue et chapeau foncés, ainsi qu’un chemisier clair. Je ne suis pas parvenu à identifier cette tenue. Les trois dernières femmes sont des religieuses. Elles sont vêtues d’un voile et d’une tunique sombre, surmontée d’un scapulaire blanc. À leur ceinture, une corde, ourlée de trois nœuds.
La seconde image, c’est une religieuse, habillée comme les précédentes, assise dans l’herbe. Elle porte dans ses bras un nourrisson chevelu, vêtu de layette claire. À ses côtés, deux fillettes jouent – l’une peut avoir quatre ans, l’autre deux ans environ. Un petit cheval de bois est posé contre les genoux de la bonne sœur. La photo est prise dans un grand jardin, ou dans un champ, situé sur une hauteur. À l’arrière-plan, on distingue un village en contrebas, dans le vallon.
Ce décor ressemblait beaucoup à la vue que l’on embrasse depuis le domaine de Bois-Larris, à Lamorlaye. Le cliché avait-il été pris à cet endroit, là où, entre les 6 février et 10 août 1944, avait fonctionné l’unique maternité SS de France ?
Pour en avoir le cœur net, une seule solution : retourner sur les lieux. C’est ce que j’ai fait, quelques mois après avoir rendu visite à Erwin. Il m’avait confié les photographies et donné l’autorisation de les reproduire dans le livre. Avant que je le quitte, ce jour-là, pour aller prendre le TGV en gare d’Avignon, Erwin m’avait livré son sentiment : « Si tu avais appelé il y a quelques années, quand M’man était encore vivante, je crois qu’elle t’aurait parlé… Elle aurait aimé se délivrer de son secret. C’est étrange : ce
Weitere Kostenlose Bücher