Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
voisine rapporte une autre anecdote : Marguerite s’était confiée à elle après-guerre. Elle lui avait parlé du vrai père de Christiane. La voisine garde ce secret depuis près de 70 ans.
La voisine se rappelle encore d’autre chose. Dans les années 1960-1970, Marguerite lui avait avoué franchement : « Si je retrouve Werner, je quitterai mon mari. »
En 1954, Marguerite avait emmené Christiane à Paris. Elle avait rendez-vous avec Margot, l’amie allemande avec qui elle avait travaillé pour le Haut commandant militaire, pendant la guerre. Des années plus tard, Margot avait confié à Christiane que Marguerite lui avait demandé de l’aider à retrouver Werner. Elle avait refusé, peut-être parce qu’il s’agissait d’un ancien SS… À cette même époque, Werner écrivait à sa famille des cartes postales depuis la Russie, en inscrivant comme expéditeur le nom composé « Reimer-S… ».
La voisine continue de raconter ses souvenirs. Il y avait des rumeurs dans le village, après le retour de Marguerite. Un jour, un homme avait dit à son propos : « Madame aurait dû ramener un deuxième enfant… » Il n’y a jamais eu davantage d’explications.
Le coup de fil
17 juillet. Dimanche. Spontanément, j’appelle Marguerite au téléphone. Cinq jours plus tôt, nous lui avions rendu visite, Christiane et moi. Elle me reconnaît immédiatement. Elle me dit : « On a bien bavardé. » Elle se souvient de notre conversation. Nous parlons à nouveau de Werner et de la guerre. « D’après vos lettres, vous l’avez beaucoup aimé », lui dis-je. Elle rit. Ensuite, j’évoque son emprisonnement en Russie jusqu’en 1955, son retour, parmi les derniers soldats, sa mort en 1994. Elle souffle : « Oh, le pauvre… » Je lui parle aussi de son mariage en 1960, de ma naissance en 1963, du fait que ce n’était pas facile de vivre avec lui, ni pour ma mère ni pour moi.
Bientôt, ses pensées recommencent à s’égarer. Tout à coup, elle me demande : « Quel âge j’ai ? » Je comprends que la discussion sur la période de la guerre est terminée pour aujourd’hui. De temps à autre, elle s’excuse de ne plus se souvenir.
Je trouve qu’elle a tout à fait le droit d’oublier, de ne plus se rappeler, que cela soit volontaire ou non. Elle mérite du respect et de la patience. Après toutes ces souffrances, je comprends que ces personnes veuillent oublier, ne puissent ou ne veuillent plus voir. Elle est presque aveugle. Ses yeux en ont probablement beaucoup trop vu. Nous avons du mal à le comprendre, mais nous n’avons pas vu ce qu’eux ont vu.
Le secret ou l’inconscient de Christiane
Pendant longtemps, Christiane n’a rien su de son vrai père, ni de ses origines.
À l’âge de 23 ans, elle passe des vacances chez une tante maternelle, dans le Sud de la France. Un jour, cette tante lui jette à la figure : « Ce n’est pas ton vrai père. » Christiane m’a dit, à propos de ce jour : « J’étais pétrifiée, comme une statue. »
Elle ne pose aucune question à sa tante. Après être rentrée chez ses parents, elle n’en parle pas. Elle ne posera jamais une seule question. À personne. Elle ne fera jamais de recherches. À partir de ce moment-là, elle vit en état de choc. La réplique de sa tante est figée dans son inconscient.
Christiane a presque 55 ans quand sa mère vide enfin son cœur. Nous sommes en 1997. Pour la première fois, elle lui parle de son vrai père, prononce son nom, raconte ce qu’il faisait pendant la guerre. Elle lui raconte aussi que, pendant sa grossesse, elle travaillait à l’Assemblée pour le Haut commandement militaire allemand. Là-bas, un jour, une dame est venue lui demander : « Est-ce que vous souhaitez avorter ? » Un peu plus tard, elle lui dit encore : « Christiane, je ne t’ai pas tout dit. Tu as aussi un demi-frère qui s’appelle Christian. » Une autre femme française avait eu un enfant de Werner Reimer.
Mais Christiane ne posera jamais de questions. Elle m’a expliqué : « J’ai écouté maman, j’étais tranquillisée. » Aujourd’hui encore, elle n’en parle toujours pas. Une tranquillité dangereuse. Une danse sur un volcan.
En 1997, Marguerite demande à sa fille de l’aider à retrouver Werner Reimer. Elle lui suggère alors de chercher dans les annuaires téléphoniques de Munich. Elle a brûlé les photos, les lettres, mais le petit fil rouge résiste
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