L'Église de Satan
flammes
montantes. Ces volutes infernales atteignaient leurs cheveux, les couronnaient
un instant d’une aura incandescente, transformant leur tête en boules de chair
en fusion, leurs yeux fondant dans leurs orbites. S’ils ouvraient encore la
bouche, c’était pour avaler du feu ; s’ils la fermaient, c’était pour
sentir ce feu à l’intérieur d’eux-mêmes. Ils n’étaient plus que des torches
vivantes. Ils brûlaient, ils brûlaient ! Et l’on chantait.
Les flammes avaient bien pris. Trop bien
peut-être. Les inquisiteurs, les bourreaux, les soldats de l’ost durent se
retirer à bonne distance, comme une marée à l’écume amère, refluant d’un seul
mouvement, car la chaleur de ce brasier devenait insupportable.
Le feu dura quelques heures. Les
défenseurs qui étaient demeurés dans la citadelle de Montségur regardaient, du
haut du pic, la fumée qui montait vers le ciel, nourrie de cet amas de chairs
calcinées, sanglantes. Une puanteur sans nom se répandait dans les vallées. Oui,
les braises dureraient longtemps encore, on les verrait rougir dans la nuit.
Mais pour le moment, on n’en était pas encore
là – juste à cet instant, cette frontière où les damnés quittaient leur corps.
Nous sommes des anges déchus. Et une voix s’éleva par-dessus les cantiques. Une voix de femme, pure, limpide,
cristalline, qui semblait jaillir de nulle part. Elle lisait un texte de saint
Paul.
L’œil de l’évêque Aguilah s’alluma comme celui
d’un aigle. Il était revêtu d’une chasuble de lin, une tiare rutilante vissée
sur le crâne. Sa main était serrée sur le sceptre qui témoignait de son pouvoir.
Autour du cou, son étole dansait, malgré les paravents pourpres disposés de
part et d’autre de son fauteuil tendu de velours. Aguilah détourna la tête, ce
visage anguleux et taillé à la serpe, moucheté d’imperceptibles scories. Il
était soudain inondé d’une haine sans bornes.
… Et je vais encore vous
montrer une voie qui les dépasse toutes. Quand je parlerais les langues des
hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je ne suis plus qu’airain qui
sonne ou cymbale qui retentit. Quand j’aurais le don de prophétie et que je
connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude
de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne
suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumône, quand je livrerais
mon corps aux flammes, si je n’ai pas l’amour, cela ne sert à rien.
— Faites-la taire, dit Aguilah. Faites-la
taire ! Mais la femme continuait. L’évêque la vit, dressée dans le soleil
qui trouait soudain les nuages, un poing refermé sur les grains de son chapelet
qu’elle serrait jusqu’au sang, les voiles de sa robe flottant dans le vent. Sa
chevelure s’était dénouée, s’échappant de son diadème pour venir ondoyer sur
ses épaules. Elle avait tout d’un ange, maudit peut-être, égaré en ce monde, et
chacun de ses mots avait le tranchant d’un glaive.
L’amour…
L’amour est obstiné ;
l’amour est serviable ;
il n’est pas envieux ;
L’amour ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ;
il ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt,
ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal…
Aguilah se dressa de son fauteuil, manquant
de déchirer son vêtement.
— Faites-la taire ! cria-t-il.
Il ne se réjouit pas
de l’injustice,
mais il met sa joie dans la vérité.
Il excuse tout,
il croit tout,
il espère tout,
il supporte tout.
Quelques soldats firent mine d’avancer
vers la jeune femme.
Elle croisa le regard d’Aguilah, dont la main
se crispa contre son sceptre.
L’amour ne passera
jamais.
Elle referma son livre, les yeux pleins
de larmes. Son regard parut se noyer dans le brasier qui n’en finissait pas.
La fumée montait jusqu’au ciel, par-dessus les
champs, par-dessus les villages et les collines, par-dessus les montagnes.
Et ce fut la fin des cathares d’Occitanie.
PREMIÈRE PARTIE
LE SANG DES ALBIGEOIS
1 Le manuscrit de « l’enfer » ________________________ Juin 2000
Lettre d’Antoine Desclaibes à Philippe Poussin.
Paris, le 7 juin 2000.
« Cher Philippe,
Ça y est ! Je l’ai trouvé ! Tu
n’imagines pas à quel point je suis heureux de la découverte que je viens de
faire. C’est une merveille. Mes recherches ont guidé mes pas jusque dans un
endroit que tu n’imagines pas. Jusqu’en enfer,
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