L'Église de Satan
À la tombée de la nuit, cette
crête ressemblait à une gargouille grimaçante, aux ailes repliées au-dessus des
vallées.
Montségur, Montségur en ses brumes et ses
fantômes, vision grandiose et douloureuse.
Un rêve et un cauchemar tout à la fois.
Bienvenue dans l’Église de Satan.
Au début du siècle, alors que le château
n’était pas encore terminé, les évêques cathares venaient déjà y prêcher et y
donner le consolament. Fournière de Péreille, parfaite revêtue, Raymond
de Péreille son fils, Aude de Fanjeaux y avaient élu domicile depuis de
nombreuses années. Ils y recevaient leurs alliés et les membres de leur famille,
ainsi que de nombreux chevaliers venus du pays d’Olmes, qui veillaient à leur
subsistance. Mais la figure emblématique de Montségur avait longtemps été
Guilhabert de Castres, premier des dignitaires cathares. De son vivant, on
pouvait le voir s’avancer au milieu des affleurements de roc, pour contempler
les vallées alentour. Guilhabert se saisissait d’une poignée de terre et la
jetait aux quatre vents, comme en ce jour où il avait incité Raymond de
Péreille à la reconstruction du château, alors tombé en déshérence. Lors du
solstice d’été, un rayon de soleil traversait le donjon de part en part, déposant
en son sein un éclatant noyau de lumière. Ce n’était pas seulement une
citadelle que l’on avait bâtie à Montségur, mais un temple, relevé de ses
anciennes ruines. Avait-on voulu faire du château un symbole nouveau ? Sans
doute la poignée de terre de Guilhabert, dispersée au vent, était-elle moins un
hommage à la grandeur divine qu’un défi à la vanité du monde ; mais si
Montségur existait comme la réponse aux menaces qui s’amoncelaient sur l’Église
occitane, il était impossible de rester insensible à la fulgurante et terrible
beauté de cet endroit.
Montségur ! Montségur, cœur du démon ou
dernier refuge des apôtres du Christ ?
Par quel étrange cauchemar devins-tu le
théâtre de cette tragédie ?
Bienvenue dans l’Église de Satan.
Nous allons tous
mourir.
Montségur était cerné. Plus de deux cents
personnes s’y abritaient encore.
Toutes savaient que leur mort était
inéluctable.
C’était le 16 mars 1244.
Escartille gravit quatre à quatre les
marches taillées dans la pierre et franchit l’arche des portes monumentales, en
faisant signe aux guetteurs disséminés sur le chemin de ronde. Il ôta le
capuchon qui lui recouvrait le visage et posa son bâton non loin de lui. Les
pans de sa cape frémirent dans le vent. Il fut bientôt conduit à l’ombre des
murs de pierre, où il rejoignit son fils Aimery, jeune chevalier défenseur de
la cause hérétique. Un autre parfait se trouvait là, en robe noire. En arrivant
devant lui, Aimery fit son melhorament, s’agenouillant par trois fois en
demandant sa bénédiction au ministre cathare.
— Bon chrestian, balhatz-nos la
bénédiction de Dieu et de vos !
— Ajatz-la de Dieu e de nos !
Une porte était dissimulée non loin d’eux. Avant
de laisser Escartille et son fils pénétrer à l’intérieur de l’enceinte, le
parfait, la gorge nouée, s’approcha d’eux.
— C’est l’heure, n’est-ce pas ?
— Le moment est venu, dit Escartille, retenant
ses larmes.
— La cérémonie s’achève.
Escartille et son fils pénétrèrent à l’intérieur
de la salle commune ; pas un seul ornement sur ses parois, peintes à la
chaux. Toute la population de la citadelle y était rassemblée, au milieu d’innombrables
volées de cierges. Les parfaits et parfaites cathares se tenaient debout, devant
des bancs de bois. Des flammes couraient sur leurs visages et dessinaient sur
les murs des ombres dansantes. On trouvait là Aude de Fanjeaux, Raymond de
Péreille, Pierre-Roger de Mirepoix, d’autres encore. Au fond de la salle, deux
hommes, maigres et pâles, semblaient présider : Bertrand Marty et son
frère, en vêtements religieux, devant l’autel où était ouvert l’Évangile. Agenouillés
en cercle devant eux, les croyants de Montségur attendaient de recevoir leur
sacrement. L’autel était recouvert d’un drap immaculé. Non loin, une aiguière, une
cuvette ainsi que des essuie-mains se trouvaient disposés sur une petite table.
Bertrand Marty officiait, en sa qualité de parfait et de récipiendaire. On n’entendait
plus que sa voix et le vent, ce vent qui battait les flancs de la montagne et
semblait hurler à
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