L’élixir du diable
prise sur le cou de Wendy. Et sur la lame.
— D’accord… si tu veux jouer à ça… dit Navarro.
Corliss s’élança.
— Non !
Il plongea, les bras tendus en avant pour saisir sa fille et la mettre en sécurité. Les hommes de Navarro bondirent sur lui tandis que le Mexicain, surpris, faisait un bond en arrière…
… et dans ce moment de chaos, cet instant de folie, Corliss vit la lame entailler le cou de Wendy, il vit le sang qui jaillissait, les yeux de la petite s’écarquiller sous l’effet de la peur, il vit sa bouche s’agrandir et entendit son hurlement…
Wendy glissa en se tenant le cou, le sang coulant implacablement entre ses doigts, son regard terrifié fixé sur son père…
En une fraction de seconde il fut près d’elle, il la serra contre lui, pressa sur la plaie de sa gorge, lui caressa les cheveux en répétant que tout irait bien, qu’elle allait vivre…
Sa femme, en sanglots, se trouvait déjà à côté de lui, essayant désespérément de retenir la vie qui s’échappait du corps de sa fille et de lui apporter un peu de réconfort…
— Aidez-nous ! hurla Corliss, le visage noyé de larmes. Aidez-nous, bande de salauds !
Navarro et ses hommes les regardaient, immobiles. Au bout de quelques secondes insoutenables, Wendy perdit connaissance. Puis elle cessa de respirer. Elle gisait là, simplement, dans les bras de Corliss.
Morte.
Corliss leva les yeux vers Navarro, étouffant de rage, de chagrin et de confusion.
— Pourquoi ? bafouilla-t-il entre deux sanglots. Pourquoi ? Je t’ai dit… Je t’ai dit que nous ne l’avions pas.
Il sut tout à coup que Navarro le croyait, enfin. Mais c’était trop tard.
Cela n’avait plus d’importance.
— Je t’ai dit que je ne l’avais pas… Pourquoi étais-tu obligé de faire ça ?
— Tu comprendras peut-être, répondit tranquillement Navarro. Dans une autre vie.
Quatre mots que Corliss n’oublierait jamais.
Il rugit, bondit sur ses pieds et se précipita vers Navarro.
Il ne parvint jamais jusqu’à lui.
Les balles l’arrêtèrent bien avant.
Vingt-trois balles.
Il ne se rappelait pas grand-chose d’autre de cette nuit-là.
Il avait passé des jours dans le coma. Des semaines aux soins intensifs. Des mois à l’hôpital. Des années en rééducation. Trois mois après la tragédie, on l’avait informé que sa femme s’était suicidée. Cela ne l’avait pas étonné. Il savait combien la mort de Wendy l’avait affectée, et qu’elle ne pouvait pas vivre avec le souvenir de cette nuit-là. Maintenant, elle était morte, elle aussi.
Elles étaient mortes, toutes les deux.
Mais Navarro était toujours là. Rôdant dans le pays, insouciant, causant sans doute de nouvelles horreurs, infligeant toujours plus de douleur et de souffrance sur son chemin.
Un monstre en liberté.
Au début, Corliss ne comprenait pas pourquoi il avait survécu. Il ne comprenait pas pourquoi il avait survécu à l’averse de grêle qui lui avait déchiré le corps. Après avoir quitté l’hôpital, il envisagea de se tuer, de rejoindre sa femme et sa fille dans l’au-delà. Il y pensa beaucoup. A plusieurs reprises, il fut bien près de passer à l’acte. Un jour, enfin, il comprit.
Il comprit la raison pour laquelle il s’en était sorti.
Il réalisa qu’il était vivant pour faire ce qui devait être fait.
Pour détruire le monstre.
Pour s’assurer qu’il ne ferait plus de mal à personne.
Pour s’assurer qu’il paierait.
Et une fois le monstre détruit, il avait continué. Le combat n’était pas fini. D’autant qu’il n’avait jamais vraiment cru à la mort du monstre.
Et il semblait maintenant qu’il ait eu raison de douter. Le monstre était de retour. Ici. Aux Etats-Unis. En Californie.
A sa portée.
Son bras glissa, reposa sur le canapé. Ses doigts lâchèrent le verre vide, qui roula sur les coussins. Au moment de plonger dans le sommeil, il eut une pensée. Si le monstre devait être pris, il serait là, lui, Corliss, et il lui trancherait la gorge. Lentement, afin de le regarder agoniser. Lentement, râle après râle.
Hasta la vista , espèce de salaud.
49
Sur le plancher de bois verni de son pool house en stuc et carreaux de terre cuite, le monstre fouillait les tréfonds de son esprit, en quête de réponses.
La journée ne s’était pas bien passée.
Il avait perdu un homme. Ne lui en restaient que deux dans sa garde rapprochée. Sa cible avait disparu, et il ne voyait pas du tout
Weitere Kostenlose Bücher