L’élixir du diable
heures, et j’étais là, pourtant, en train de contempler le plafond. Peut-être étais-je incapable de me reposer avant d’avoir trouvé une faille dans la théorie de Tess, un moyen de la démolir. Ou peut-être était-ce quelque chose en moi – une ouïe extraordinairement aiguë ou un don pour la perception extrasensorielle – qui me maintenait en éveil, à cause de l’imminence du danger. Tout dépend si on cherche une explication étroitement scientifique ou plus ésotérique (étant donné mes préoccupations du moment). En tout cas j’étais tout juste éveillé, Tess à côté de moi, prisonnier de cette zone vraiment agaçante où l’on est trop fatigué pour réfléchir et trop énervé pour dormir.
Je crus entendre un léger craquement, comme un plancher ou un chambranle qui grince. Peut-être Julia, qui allait se faire un café dans la cuisine ? Ou était-ce le quart de Cal ? Je n’étais pas sûr. Julia, je me suis dit. Le silence revint dans la maison. Puis j’entendis un autre craquement, suivi d’un bruit métallique.
Du coup, j’étais réveillé pour de bon, mais c’était trop tard. A demi levé, je tendais le bras vers mon revolver quand la porte de notre chambre s’ouvrit à la volée, et deux silhouettes sombres sont entrées dans la pièce. Mes doigts n’ont jamais atteint le Browning. Je sentis la douleur de la piqûre, profonde, dans ma poitrine avant de réaliser qu’un des deux hommes m’avait visé avec son arme – mais ça ne ressemblait pas à un vrai revolver, et le projectile n’était pas une balle. Il avait jailli avec un sifflement, comme le bruit d’une cartouche d’air comprimé, et ce que j’avais dans la poitrine n’était pas la plaie béante provoquée par une balle. C’était une aiguille de huit centimètres, avec une pointe noire à l’extrémité.
Je continuai à avancer la main vers mon arme, mais un des visiteurs était déjà sur moi. D’un coup de pied, il écarta mon bras de la table de nuit et me jeta contre le mur. Je vis vaguement Tess en train de s’asseoir sur le lit, et l’entendis glapir quand elle reçut à son tour une aiguille. Je voulus m’éloigner du mur pour rendre ses coups à l’intrus, mais à mi-course mes muscles se transformèrent en compote et je me suis effondré comme une poupée de chiffon.
J’étais incapable de bouger le petit doigt.
Prisonnier de mon propre corps, j’étais tout juste capable de les regarder aller et venir autour de moi comme si je n’étais pas là. Du coin de l’œil, je les vis soulever Tess et la porter à l’extérieur de la chambre, et une rage d’une violence que je n’avais jamais ressentie m’emporta soudain. Mes pensées s’envolèrent vers Alex. J’espérais qu’ils lui donneraient une autre drogue, un produit qui ne le laisserait pas conscient comme je l’étais, qui lui épargnerait l’horreur d’assister à cela. Je pensai à Julia et à Cal, espérant qu’ils n’étaient pas considérés comme quantité négligeable, et qu’ils avaient été épargnés. Puis un visage surgit dans mon champ de vision, à l’envers, venu de derrière moi. Un nouveau visage, que je n’avais jamais vu. Mais je sus que c’était lui.
Juste là, à quelques centimètres de moi. Et je ne pouvais lever un doigt sur lui, ni lui arracher le cœur. A condition qu’il en ait eu un.
Je me contentai de le fixer, au fond dans ma rage silencieuse, hurlant de toute la force de mes poumons dans un silence total, et je pensai aux araignées et aux lézards et au rapport de l’analyse toxicologique qu’on ferait après mon autopsie.
Jeudi
62
— Hé, ho, réveillez-vous. S’il vous plaît.
Ces mots m’éveillèrent en sursaut.
Il me fallut quelques secondes pour accommoder mon regard, mais je savais déjà que je n’aimerais pas ce que j’allais voir. J’avais la tête cotonneuse. Ça ne ressemblait pas à une gueule de bois, j’avais plutôt l’impression que mon crâne avait été pris dans un étau qu’on n’avait desserré que d’un demi-tour.
J’étais allongé sur un lit de camp peu épais. Je constatai que je n’avais pas les mains liées. Je me redressai en faisant grincer le lit, vis que mes jambes n’étaient pas non plus attachées. Je jetai un coup d’œil autour de moi. J’étais logé à la spartiate. Une pièce sans fenêtres, de huit mètres carrés. Les murs de pierre étaient vieux et se rejoignaient pour former une voûte basse. La cellule était
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