L’élixir du diable
l’affaire.
— Navarro n’est pas à mes trousses, dis-je d’une voix durcie par la fureur. Il poursuit Alex. Parce qu’il croit qu’Alex est la réincarnation de McKinnon. Parce qu’il veut la formule. Parce qu’il pense qu’Alex s’en souvient peut-être.
— Exactement, renchérit Tess. La cible, c’est Alex. Depuis le début !
Ça collait.
Nom de Dieu, ça collait vraiment.
Et si c’était vrai… alors, pour une raison bizarre, un motif de taré, de karma de tête de nœud, celui, quel qu’il soit, qui décide comment ces choses-là arrivent, celui-là avait fourré l’âme de l’homme que j’avais assassiné dans le corps de mon propre fils.
Oubliez le dessein intelligent.
Il n’y avait là qu’un dessein pervers et sadique.
Je me laissai glisser sur le sol, m’adossai à l’arbre solitaire. Je me sentais aussi seul que lui. Je n’étais toujours pas sûr d’y croire. C’était trop dingue, trop irréel. Il fallait un sacré acte de foi, et je n’en étais pas encore là. Mais je ne pouvais pas tout rejeter d’un geste de la main. Pas avec ce que Tess avait déterré. Et si c’était vrai… La pensée qu’Alex voyait son meurtrier à chaque fois qu’il me regardait – moi, son propre père… non, c’était trop horrible. Je cherchai une manière de torpiller la conclusion de Tess, de la mettre en pièces, de la déchiqueter en nanoparticules pour qu’elle ne revienne jamais…
Je n’y parvins pas.
J’avais l’impression que mon crâne allait exploser, tel un astronaute dont le casque est fêlé. J’aurais préféré me trouver dans l’espace, où personne, si l’on en croit certaines affiches de film, ne vous entend hurler. J’avais vraiment envie de m’époumoner. Mais je ne pouvais pas. Pas là. Pas devant Tess, pas en sachant qu’Alex, Julia et l’autre agent se trouvaient à côté. Je me contentai de me laisser aller, penchai la tête en arrière et fermai les yeux.
Tess se laissa glisser et s’assit à côté de moi.
— Tu penses vraiment que c’est possible ? fis-je au bout d’un moment.
Elle laissa passer quelques secondes.
— Je ne sais pas ce qu’il faut croire, Sean. Franchement, je suis déchirée. J’ai envie que ce soit vrai, et j’espère que ça ne l’est pas.
Elle me posa la main sur le bras.
— Je voudrais que ce ne soit pas vrai, pour ton bien. Pour le bien d’Alex. Ce serait si… cruel. Si injuste. Une partie de moi me fait des reproches parce que j’ai essayé de savoir. Mais si c’est vrai… on ne peut pas regarder ailleurs. Il faut y faire face, régler le problème pour qu’Alex et toi ayez les relations père-fils auxquelles vous avez droit tous les deux.
Elle leva les yeux vers le ciel nocturne. Je suivis son regard. Le ciel me semblait plus vaste, plus infini que jamais.
— Et si c’est vrai… Mon Dieu… Cela change tout. Si cette vie n’est pas la fin, si nous avons une chance de revenir… Ce doit être un tout autre débat, et je ne suis pas sûre que nous devons l’avoir maintenant.
J’acquiesçai. Certaines choses pouvaient attendre.
— Je dois faire en sorte qu’Alex soit en sécurité, lui dis-je. Si Navarro y croit vraiment, alors Alex ne sera à l’abri que le jour où ce salaud sera hors d’état de nuire. Je dois m’occuper de ça avant tout. Et après… nous verrons pour le reste.
Il fallait que je trouve Navarro. Et le moment venu, il faudrait que je lui cloue le bec une fois pour toutes. Je ne voulais pas que tout cela revienne à la surface. Cela hanterait Alex pendant des années, et lui rendrait la vie trop difficile. Je ne voulais pas non plus que Navarro aille jacasser dans une quelconque cellule de prison et incite une nouvelle vague de narcos à traquer mon fils comme s’il était leur poule aux œufs d’or.
Il fallait que je mette la main sur El Brujo.
A moins qu’il ne me trouve d’abord.
61
Je ne les ai pas entendus arriver.
Il était tard. Vraiment tard, ou vraiment tôt, selon le point de vue. Je ne dormais pas, mais j’étais tellement dans les vapes que je ne pouvais pas dire que j’étais éveillé. J’étais physiquement et mentalement démoli, et le sommeil aurait vraiment été le bienvenu. J’avais un peu dormi. Deux ou trois heures, peut-être. Vers quatre heures et demie, j’avais ouvert les yeux.
Julia et Cal, le nouvel agent, faisaient des quarts de deux heures, mais je leur avais proposé de prendre ma part. Mon quart démarrait à six
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