L’élixir du diable
et les inciterait à jeter l’éponge. Je passai donc devant la sortie et continuai tout droit.
La voiture marron me suivait toujours.
— J’arrive dans F Street, annonçai-je à Villaverde.
Je demandai à Villaverde de me trouver un endroit loin de la foule, où je pourrais affronter les deux gars sans craindre de dommages collatéraux.
Je descendais maintenant F Street, large rue à sens unique qui traversait le centre d’est en ouest et je pouvais presque entendre cliqueter le cerveau de Villaverde tandis qu’il traitait ma demande.
— Il y a les installations des gardes-côtes dans Harbor Drive, lâcha-t-il enfin. Je peux téléphoner pour que la sentinelle de l’entrée te laisse passer et qu’une équipe se tienne prête à t’épauler…
— Non. Ni les gardes-côtes ni la Marine, rien de ce genre. Ça pourrait les effrayer.
Je me doutais que mes suiveurs n’auraient pas trop envie de planquer devant une base militaire, pas dans cette période de lutte antiterroriste intense.
— Presse-toi, David. Je serai bientôt à cours de bitume…
— Ne quitte pas.
Après un silence, il revint en ligne :
— Qu’est-ce que tu dirais du terminal maritime de la 10 e Rue, dans le port ? Il y a des dépôts de conteneurs, des entrepôts, des réservoirs de stockage…
Ça semblait jouable.
— Ça aurait l’air normal d’avoir quitté l’autoroute là où je l’ai fait si j’avais depuis le début cette destination en tête ?
Il réfléchit un instant avant de répondre :
— Je n’aurais pas forcément pris la sortie 15 mais, ouais, pourquoi pas. Ça ne fait pas un très grand détour. D’ailleurs, tu n’es pas du coin, tu n’es pas censé connaître l’itinéraire idéal.
Je n’aimais pas trop qu’on me rappelle cette lacune. En plus, j’ignorais ce que les deux types pensaient ou projetaient. Mais le centre-ville ne semblait pas pouvoir m’offrir ce que je cherchais et le port constituait apparemment le meilleur choix.
La suggestion de l’entrée des installations des gardes-côtes m’avait donné une idée.
— Il y a un entrepôt sous douane, avec une entrée sécurisée ? demandai-je.
— Ouais, absolument.
Je lus les plaques des rues au carrefour suivant.
— Je viens de traverser la 13 e . Il faut que tu me guides jusqu’au terminal. Et vois si tu peux appeler le gars de l’entrée et le prévenir que j’arrive.
Villaverde m’indiqua de prendre la première à gauche. Tendu, je tournai le volant en regardant dans mon rétroviseur.
1 - Oh My God !!!! (« Oh mon Dieu »).
18
Installé sur un canapé au cuir craquelé et déchiré, séparé d’Eli Walker par une table basse couverte de taches, Navarro sentait dans ses veines le grondement d’une tempête imminente.
Il s’efforça cependant de n’en rien montrer, tout en promenant son regard sur l’intérieur spartiate du club-house et sur les cinq autres motards assis çà et là dans la pièce, tandis qu’il tendait l’oreille pour suivre la conversation que leur chef, le président du club, avait au téléphone. L’homme lui avait plusieurs fois donné toute satisfaction. Ils avaient fait de bonnes affaires ensemble, des années plus tôt, à l’époque où Walker et le reste du monde de la dope le connaissaient sous le nom de Raoul Navarro, où, par la magouille et la violence, il grimpait l’échelle des narcos vers le pouvoir et la notoriété. Ils avaient aussi fait des affaires d’une nature différente au cours des derniers mois.
Le club-house jouxtait la façade du garage où Walker et sa bande vendaient et entretenaient des motos de toutes sortes. Navarro savait que ce garage rempli d’engins laqués ornés de chromes coûteux était une affaire prospère. Il savait que les motards vouaient une véritable passion à leurs bécanes, surtout en Californie, et qu’il y avait des gens prêts à débourser des sommes exorbitantes pour les motos customisées que Walker créait pour eux. La semaine d’avant, il avait lu dans le journal qu’on avait retrouvé aux Philippines, endroit improbable, la moto volée d’un scénariste de Hollywood, estimée à près de cent mille dollars. Les machines entreposées dans le garage représentaient un coquet paquet de fric. Comme la main-d’œuvre constituait une partie essentielle de la customisation et que la marge sur les accessoires utilisés était énorme, le garage offrait l’endroit idéal pour blanchir l’argent que la bande de Walker tirait
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