L'Enfant-Roi
alcôves des deux sexes, les tripots, les
bordels – et en conséquence de ses dettes et de ses friponneries –
les geôles de la Toscane, mais jamais, au grand jamais, les camps et les
armées. Son seul exploit – et après avoir vu la malitorne, j’augurai que
c’en était un – avait été d’épouser la coiffeuse dont la reine-mère avait
fait sa dame d’atour, laquelle à la longue, à force de services, avait asservi
sa maîtresse. C’est à elle qu’il devait tout : son énorme fortune, son
marquisat d’Ancre et sa présente élévation au maréchalat.
Bel homme, resplendissant de pierreries qui lui avaient peu
coûté, le nez busqué, la mâchoire carnassière, l’œil et le sourcil relevés vers
les tempes, il portait, tandis qu’il traversait la foule, cet air d’impudence
et d’arrogance dont Bellegarde, en parodie de Sully, avait dit que c’étaient « ses
deux mamelles ».
« Voilà, m’apensai-je, un homme qui a déjà mangé une
bonne part du royaume et qui, si on le laisse faire, mangera tout. »
Que sa noblesse florentine fût fausse ou authentique (point
qu’on n’avait pas donné le temps au Parlement de Paris d’éclaircir), il faut
bien confesser que le beau maréchal exécuta devant Leurs Majestés toutes les
simagrées du protocole – les génuflexions, les baisemains, les avancées et
les reculs – avec une parfaite bonne grâce qui faisait honneur, sinon à sa
première éducation, à tout le moins à ses talents de comédien.
Il se tira moins bien, et de son serment de maréchal, et du
petit discours dont il le fit suivre, pour la raison qu’il les prononça dans un
français baragouiné d’italien qui, par malheur, rappelait un peu trop aux
héritiers des vieilles familles qui se trouvaient là que le royaume de France
était désormais aux mains de trois Florentins, la reine et les époux
Concini – ceux qu’on avait d’abord appelés (en s’en gaussant) les
marquis d’Ancre et qu’on allait appeler (sans plus en rire du tout) les
maréchaux d’Ancre.
Du petit discours dont le maréchal fit suivre son serment,
je n’ai retenu que les dernières paroles pour ce que je crus voir, dans leur
dévergognée franchise, je ne sais quel défi ou braverie à l’égard des Grands de
ce royaume.
— Sire, conclut le maréchal d’Ancre, j’ai grand sujet
d’être votre serviteur, puisqu’étant étranger et étant venu en ce pays sans un
sol vaillant, j’ai reçu tant de bienfaits de Votre Majesté et de la reine votre
mère que cela m’obligera à demeurer votre serviteur tant que je vivrai, et je
me sentirais bien misérable si je n’en ressentais l’obligation.
À quoi Louis répondit sans bégayer et sans y mettre non plus
la moindre chaleur la phrase si laborieusement apprise des lèvres mêmes de
celui qui aurait dû se trouver devant lui à la place du nouveau maréchal.
— Mon cousin, j’augure bien de vos services et je vous
remercie de votre bonne volonté à mon endroit.
J’envisageai les ducs et les pairs, tandis que, debout
derrière la chaire du roi et de la reine-mère, ils écoutaient cet échange.
Il y avait là Condé, Mayenne, Nevers, Longueville, Guise,
d’Épernon, Bouillon, Vendôme – en un mot, ceux qu’on appelait les Grands,
lesquels, en ce royaume, gouvernaient villes et provinces dont ils tiraient des
pécunes et à l’occasion des soldats, mais à qui la reine, ni du vivant du feu
roi, ni depuis qu’elle était régente, n’avait dans son obtuse morgue témoigné
le moindre égard, ni baillé la moindre faveur. La régence venue, les Grands se
rattrapèrent, ayant découvert un moyen infaillible de faire cracher leur
souveraine au bassin. Au moindre sujet de mécontentement, ils boudaient,
quittaient la Cour, se fortifiaient dans leurs villes et levaient des troupes.
Ce qu’ils avaient fait avec un grand succès quasiment dès l’arrivée de la reine
au pouvoir et qu’ils feraient de nouveau pour qu’on regarnît leurs bourses,
puisque la régente, loin de leur galoper sus à la tête des armées royales,
avait imaginé dans son peu de cervelle de leur courir après en leur tendant des
sacs d’or pour les ramener à la Cour. Ce qui, en effet, les ramenait, mais ne
pouvait que les encourager à quitter à nouveau la Cour, sous le couvert du bien
public, qu’ils contribuaient à détruire, mais que les chattemites affectaient
de défendre, à seule et unique fin de faire remplir derechef leurs
Weitere Kostenlose Bücher