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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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n’ignorait pas avec quelle sinistre régularité les
épines et les épreuves dont son père avait pâti sa vie durant lui étaient
toutes venues d’Espagne, et je suis bien assuré qu’il eût cru trahir sa mémoire
s’il n’avait pas ressenti méfiance et antipathie pour tout ce qui lui venait ou
lui viendrait jamais de l’au-delà des Monts. J’en eus la confirmation ce soir
même quand sur le coup de cinq heures de l’après-dînée j’arrivai dans ses
appartements. Des flots de musique s’en échappaient et m’avançant quasiment sur
la pointe des pieds, je trouvai toute la Maison du roi figée dans l’écoute, ou
dans une feinte écoute, et Louis assis, la joue gauche reposant sur la paume de
sa main, et son coude prenant appui sur le bras de sa chaire. Il y avait là un
chanteur et deux musiciens de guitare, lesquels jouaient et chantaient des airs
castillans. Tous trois, il va sans dire, étaient de la suite du duc de Pastrana
et envoyés gracieusement par lui. Je trouvais de la beauté et du rythme à ces
chants, mais il ne me sembla pas que Louis partageât mon opinion. Car bien
qu’il aimât fort la musique, son visage portait cet air d’ennui boudeur que je
connaissais bien. Et comme je ne discernais que des qualités dans ces airs
entraînants, j’en conclus que s’ils rendaient Louis si malengroin, c’était
moins par le désagrément qu’il y trouvait qu’en raison de leur origine et de la
nation du grand seigneur qui lui donnait cette aubade. Toutefois, les chants
cessant, Louis remercia les musiciens et leur fit donner quelques pécunes par
Monsieur de Souvré.
    À peine les musiciens se furent-ils retirés qu’un
gentilhomme espagnol très chamarré apparut, suivi d’un valet portant un paquet
fort volumineux, don de Son Excellence le duc de Pastrana à Sa Majesté, lequel
paquet Monsieur de Souvré reçut et fit poser sur une table, non sans que, de
part et d’autre il n’y eût échange de compliments, eux-mêmes fort volumineux,
pour ce que des deux côtés, on employa dix mots quand un seul eût suffi. Et il
n’y eut pas faute non plus de profonds saluts quand le messager se retira.
    Comme on supposait, à la mollesse de son contenu, que le
paquet contenait des étoffes, Monsieur de Souvré fit appeler le grand maître de
la garde-robe du roi, le jeune comte de La Rochefoucauld, lequel apparut quasi courant,
ses longues boucles dorées flattant son beau et juvénile visage. Son
grand-père, qui était protestant, avait péri au premier jour de la
Saint-Barthélemy mais le jeune comte, qui s’intéressait peu à la religion et
beaucoup à la vie, revint au catholicisme sous Henri IV et succéda à
Roquelaure dans une charge qui valait à son possesseur, non seulement une forte
pension, mais de la part des fournisseurs, des « épingles »
enviables, même sous un roi aussi peu porté que Louis à la parure et à
l’apparat.
    La Rochefoucauld commanda à un valet d’ouvrir le paquet,
lequel révéla, à être déclos, vingt-quatre peaux parfumées – spécialité
espagnole, à ce qu’on me dit plus tard – et cinquante-quatre paires de
gants que je supposais être de tailles différentes, car il eût fallu plus d’une
vie d’homme pour les user. La Rochefoucauld dut avoir la même idée, car il
dit :
    — Sire, ces peaux et gants sont à garder, car vous
pourrez puiser dans ce fonds pour faire des cadeaux aux seigneurs étrangers qui
vous viendront visiter.
    — Oh non ! dit Louis en jetant à peine un œil aux
présents.
    Et il ajouta :
    — J’en ferai des colliers pour mes chiens et des
harnais pour mes chevaux.
    La Rochefoucauld était un trop parfait courtisan pour
marquer de la surprise à ouïr cette remarque déprisante, mais il me dit plus
tard que bien que les peaux fussent belles, le duc de Pastrana, à son
sentiment, eût été mieux inspiré d’offrir une arquebuse au petit roi. Je n’y
contredis pas, mais sans y croire le moindre. Dans l’humeur où je le voyais, Louis
n’eût trouvé de plaisir à rien qui lui vînt de ce côté-là, et pas même à une
arme.
    Cinq jours plus tard, m’étant attardé chez Madame de
Lichtenberg, je ne pus voir Louis que sur les neuf heures du soir alors qu’on
lui lavait les jambes avec de l’eau dans laquelle on avait mis des roses. Il y
prenait plaisir, aimant les bains plus que son père dont le fumet, comme l’on
sait, offensait les narines délicates. Après quoi Louis se mit, comme

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