L'Enfant-Roi
tolérante ?
— Pas le moins du monde. Mais les huguenots en ce pays
représentent une force. Avec toutes les villes dont ils sont les maîtres, ils
forment un État dans l’État. Et la régente, si elle s’attaquait à leurs
privilèges, craindrait de les voir s’allier aux Grands qui déjà lui mettent
tant martel en tête. Cependant, reprit-il au bout d’un moment, rien dans la
politique de la régente n’obéit à une logique certaine. Elle peut ménager les
protestants français et, en même temps, affronter les luthériens allemands. Il
faudrait pouvoir plaider auprès d’elle la cause de notre amie. Mais
comment ?
Pour moi, après cet entretien, ce n’était pas encore
l’espoir, mais ce n’était plus la désespérance. Et passant d’un extrême à
l’autre, comme il est coutumier à l’âge que j’avais alors, je me sentis aussi
gai et folâtre que les moineaux que je voyais par nos fenêtres sautiller sur
les pavés de notre cour. Mon père se taisant, je me levai et allai me poster
derrière la vitre pour m’amuser de leur volettement. Comme ils paraissaient
sans souci ! et que chacun et chacune semblaient sûrs, le moment venu, de
retrouver, qui son moineau, qui sa moinette !
À cet instant, notre porte piétonnière s’ouvrit et je vis
notre Mariette revenir du marché, toujours flanquée de nos soldats et les deux
paniers, pleins de nos viandes, calés sur ses hanches dodues.
La voyant déclore en ma direction une bouche énorme et bien
dentue, j’en conclus qu’elle me voulait parler et j’ouvris la fenêtre.
— Monchieu le Chevalier ! cria-t-elle. Monchieu le Marquis est-il avec vous dans la librairie ?
— Oui-da, Mariette ! Que lui veux-tu ?
— Le voir, Monchieu le Chevalier. J’ai les joues
toutes gonflées d’une nouvelle de grande importanche dont il faut que je
l’instruise.
— Un nouveau miracle, sans doute, dit mon père. Dis-lui
de monter. Les raisons de s’ébaudir sont si rares en ces temps
misérables !
J’eus à peine le temps de fermer la fenêtre que déjà les
énormes et proéminents tétins de Mariette pénétrèrent avant elle dans la
librairie où mon père se chauffait devant la cheminée, le temps étant froid
pour cette fin septembre.
— Monchieu le Marquis ! Monchieu le
Marquis ! dit Mariette, en un dramatique chuchotement, savez-vous que la
régente a nommé le Concini marquis d’Ancre ?
— Je le savais, dit mon père.
— Avec une dot de plus d’un million de livres !
— Apparemment, dit mon père en me jetant un œil, le
chiffre a pris du ventre depuis hier.
— Et chavez-vous, Monchieu le Marquis, reprit
Mariette, son œil noir tout égrillard, qu’on chanchonne la reine à ce
sujet ?
— Vraiment ? On la chansonne ? Et que dit la
chanson ? dit mon père d’un air froid en levant le sourcil.
— La voici, dit Mariette, la lèvre gourmande et le
téton houleux.
Si la reine
venait à avoir
Un poupon
dans le ventre,
Il serait à
coup sûr bien noir,
Car il serait
d’Ancre.
Mon père ne se permit pas un sourire, ce qui fit que moi
aussi je restai de marbre, quoi que j’en eusse.
— Mariette, dit mon père gravement, cette chanson est
sale, séditieuse et constitue à elle seule un crime de lèse-majesté. Si
j’apprenais que tu la chantes dans ce logis, ou dans la rue du Champ Fleuri
pour ébaudir tes commères, je te livrerais moi-même aux juges pour qu’ils te
pendent.
— Monchieu le Marquis ! Monchieu le
Marquis ! il n’y avait pas offenche ! gémit Mariette. Je la
chantais cheulement, ch’il vous plaît, pour vous inchtruire.
Et reculant en révérences, elle sortit de la pièce, point tant
effrayée par la menace de mon père que bien marrie de ne pouvoir répéter au
reste de nos gens des petits vers aussi croustillants.
— Voilà bien nos Français ! dit mon père quand elle
fut hors. Ils font des chansons sur tout, y compris sur leurs calamités.
Comme après cela mon père restait pensif, je pris sur moi de
lui demander :
— Ne se pourrait-il pas, après tout, que la liaison fût
réelle ?
— Nenni, dit-il avec un mouvement décisoire de la main,
cela ne se peut. Votre marraine qui connaît fort bien la régente se dit assurée
de sa vertu. Encore, ajoute-t-elle, que vertu et insensibilité soient souvent
synonymes. Une femme, comme vous voyez, mon fils, n’est jamais si bien jugée que
par ses amies.
Il reprit au bout d’un
Weitere Kostenlose Bücher