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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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que
les habiles appellent un « coup de théâtre » : quand Renaud a fini
de célébrer l’amour, un des soldats s’approche de lui et silencieusement lui
tend son écu de cristal, lequel est, en réalité, un miroir magique.
    — Dieu du ciel ! Un miroir magique ! Est-ce
le pauvre Bellegarde qui a inspiré cette péripétie ?
    — Nenni, nenni, c’est le Tasse. Et on ne découvre pas
l’avenir dans son reflet. On s’y contemple seulement tel qu’on est. Tant est
que Renaud, en s’y envisageant, prend conscience de sa dégradation ; il se
voit sous son vrai jour, oisif, paresseux, et tout abandonné à luxe et à
luxure. Il jette alors les fleurs qui le couronnent, arrache les bijoux qui le
parent… Armide surgit. Mais les fontaines tarissent, sa nymphe disparaît, ses
monstres s’ensauvent. En vain essaye-t-elle d’autres conjurations. En vain
d’autres monstres apparaissent, écrevisses, tortues, limaçons…
    — Dieu du ciel !
    — Lesquels se changent sous sa baguette en autant de
vieilles grotesques lesquelles, à la fin, emportent la magicienne qui les a
fait surgir. Renaud est alors délivré d’Armide, et Godefroy le chef des
armées – entendez Louis lui-même – le vient chercher pour accomplir
sa mission. La dernière scène voit Godefroy apparaître au sommet d’un pavillon
de toile d’or étincelant de pierreries, entouré des seigneurs de sa cour qui se
jettent à ses pieds pour rendre hommage à ses vertus… M’amie, qu’en
pensez-vous ?
    — Qu’il faudrait une clef pour déchiffrer ce message.
    — Or sus, m’amie ! cherchons-la !
    — Elle se veut, il me semble, prophétique : Louis
se délivrera de l’emprise de sa mère, comme Renaud s’est libéré de
l’ensorcellement d’Armide, et il prendra un pouvoir que nul ne lui pourra plus
disputer.
    — Mais que deviendra alors Conchine ? Et que
fera-t-on de sa femme ?
    — C’est tout simple. Vous vous ramentevez que les
monstres qui furent les auxiliaires de la magicienne disparaissent avec elle de
la scène.
    — M’amie, dis-je en baisant ses douces lèvres, votre
brillant génie n’a d’égal que votre beauté !
    — Si vous parlez de mon génie, mon Pierre, dit-elle
avec un sourire, c’est qu’il se rencontre avec le vôtre… Mais à la vérité
l’allégorie est si transparente que je ne vois pas qui pourrait ne pas
l’entendre. Et je me demande aussi, ajouta-t-elle au bout d’un moment, ce que
la reine-mère va s’apenser de ce manifeste.
    Le ballet, à la représentation, fut jugé magnifique et
remporta devant la Cour un grandissime succès. Quant à ce que Marie en opina,
j’en eus quelque lumière par Bellegarde, qui étant fort des amis de
Bentivoglio, me répéta le propos que le nonce lui avait tenu : «  Una
persona di conto, dit le nonce, a me ha detto de sapere di certo che la
regina sta in timore del re [91] .  » Je
sais bien que ce n’est là que l’on-dit d’un on-dit, mais ce qui me porte à y attacher
foi, c’est la scène extraordinaire, je dirais même extravagante, à laquelle il
me fut donné deux jours plus tard d’assister dans les appartements du roi.
    Ce jour-là, ou plutôt cette après-dînée, sur le coup de
trois heures, la reine fit savoir à Louis par un de ses officiers qu’elle le
viendrait visiter à trois heures et quart. L’annonce ne précédait que de peu la
venue, et comme j’étais seul, à ce moment, avec le roi et avec Monsieur de
Luynes dans sa chambre, je me levai et requis Sa Majesté de me donner mon
congé.
    — Demeurez, au contraire, dit le roi. Et Monsieur de
Luynes aussi. D’autant que Sa Majesté la reine ne viendra pas seule.
    Et en effet, quand la reine apparut – grande,
majestueuse, sa chevelure haute à l’italienne ajoutant encore à sa taille, en
outre fort superbement parée de pierreries qu’elle ne songeait nullement, comme
Renaud, à arracher de son corps de cotte pour les jeter loin d’elle – elle
était accompagnée par les ministres Barbin et Mangot, lesquels dans leur sombre
vêture paraissaient dans son sillage absurdement plus petits, et donnaient
toutefois une certaine solennité à cette rencontre, faisant d’elle davantage
une entrevue qu’une visite. Et de reste, quand après les saluts, les révérences
et les génuflexions, Marie entra dans le vif de son propos, ce fut avec des
raisons recherchées et une façon de dire qui montraient qu’elle avait reçu
l’aide de la Conchine ou de

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