L'Enfant-Roi
comme
larrons en foire !
Une parole en l’air, un messager trop prompt, le pacte était
rompu, la guerre, déclarée, et Conchine, à Caen, remis de ses terreurs et
assoiffé de vengeance, la poussa avec une extrême vigueur contre ses alliés
d’hier. On leva trois armées, mais cette fois, non comme on avait fait
précédemment, pour les montrer de loin, mais pour courir sus aux Grands et les
accabler.
Guise qui, après avoir tergiversé quelque peu, avait choisi
le camp de la reine-mère, sous l’influence de ma bonne marraine, reçut en
récompense le commandement de l’armée de Champagne, mais comme il n’avait pas
d’expérience militaire, Richelieu lui adjoignit Monsieur de Thémines, à qui on
avait donné le bâton de maréchal pour avoir arrêté Condé : ce qui était
exploit bien petit pour mériter une telle dignité.
Monsieur de Montigny reçut le commandement de la deuxième
armée, laquelle devait combattre le duc de Nevers dans le Nivernais et le
Berry. Bien qu’il eût servi Henri III et Henri IV, et se fût illustré
dans une demi-douzaine de batailles, ce vieux soldat n’avait été fait maréchal
de France que cinq mois plus tôt, à soixante-deux ans. Ce fut sa dernière
campagne et son ultime victoire : il mourut dans l’année.
La troisième armée qui devait pacifier l’Île-de-France fut
commandée par le comte d’Auvergne. Bâtard royal, fils de Marie Tronchet et de
Charles IX, beau gentilhomme, bon capitaine, mais fort étourdi, il s’était
égaré en sautillant, et quasi sans y prendre garde, dans deux complots contre
Henri IV, lequel épargna le billot à sa tête charmante, peut-être parce qu’il
était le demi-frère de sa maîtresse. Il le mit en Bastille. D’Auvergne y resta
douze ans. Raison pour laquelle je n’ai pu le présenter à ma belle lectrice,
lors du bal de la duchesse de Guise, parmi nos grands galants de cour.
La reine tira le comte d’Auvergne de sa geôle en juin 1616,
en apparence sur la supplication de sa parentèle, en fait, parce qu’elle avait
besoin d’un prince, même bâtard, en son camp, et d’un chef de plus dans ses
armées.
Je le vis le vingt-six juin chez le roi, à qui il était venu
demander pardon d’avoir trahi Henri IV, les deux genoux à terre et ne
voulant se relever qu’il ne l’eût obtenu. Louis le lui bailla, mais en des
termes qui montraient bien qu’il n’ignorait rien du règne de son père.
— Monsieur, dit-il, vous avez failli deux fois, mais je
vous pardonne.
Louis avait un an lors du premier complot : il ne
l’avait donc appris qu’après coup, mais gardait en sa tenace mémoire l’offense
faite à Henri.
Je regardai fort curieusement le comte d’Auvergne tandis
qu’il se relevait, les larmes coulant sur ses joues, grosses comme des pois. Il
était vêtu comme on l’avait été douze ans plus tôt et sans épée : on
venait à peine de le tirer de sa geôle, tout éperdu, tout ébahi. Il avait alors
quarante-trois ans, et me parut fort bel homme, encore que le poil de ses
tempes montrât plus de sel que de poivre. Dernier rameau, bien que bâtard, de
cette longue lignée des Valois qui avaient régné depuis le treizième siècle sur
la France, il avait survécu à Henri III, qui l’aimait prou, et à la reine
Margot, qui l’aimait peu.
— Sire, dit-il quand il put enfin parler, me voilà
comme nu. Plaise à vous de me bailler une épée.
Louis, sans l’ombre d’une hésitation, lui donna une des
siennes et commanda à Berlinghen de la lui attacher à la taille. Ce fut comme
si le roi l’adoubait : d’Auvergne étouffait presque de joie, et bien qu’il
ne prononçât pas les paroles que la Cour lui prêta, étant bien incapable alors
de piper mot ou miette, il est bien vrai que cette épée, il ne la tira plus
qu’au service de Louis. Deux pardons de notre Henri et douze ans de Bastille
lui avaient mis plomb en cervelle. Toutefois, il conserva jusqu’à la fin de sa
vie – et il mourut fort vieux – cette démarche sautillante qui
faisait dire de lui qu’il était né pour danser des ballets. J’ajouterai, pour
être équitable, qu’il savait aussi commander une armée, et bien le montra-t-il
en cette circonstance.
L’homme qui avait mis sur pied ces trois armées, assuré leur
armement en canons et leur ravitaillement en vivres, était Richelieu qui, nommé
secrétaire d’État aux Affaires étrangères et à la Guerre, se consacra à sa
tâche avec une ardeur
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