L'Enfant-Roi
qui lui valut d’être attaqué, dans une proclamation des
princes, comme faisant partie des créatures de Concini, « personnes
indignes, inexpérimentées à la conduite d’un État et nées à la
servitude ». Servile, il n’est que trop vrai que Richelieu l’était alors à
l’égard d’un bas aventurier qui le traitait comme un valet et dont bientôt il
ne put plus souffrir les offenses. Et vrai aussi que sa diplomatie faillait
encore en expérience, étant trop ambitieuse pour ses moyens. Mais quant au
ménagement de la guerre, sa vigueur y fit merveille. Et sa plume alerte
excellait dans les manifestes.
Ceux des Grands ruisselaient d’une mauvaise foi à donner la
nausée : Ce qu’ils voulaient, avaient-ils le front de proclamer, c’était
« rendre au roi la dignité de sa couronne et tirer sa personne hors des
mains des usurpateurs ». Ils oubliaient que dans les leurs Louis n’eût pas
été mieux traité, puisque six mois plus tôt, ils avaient poussé Condé à
« ôter le roi de son trône pour se mettre à sa place ». Richelieu
avait donc beau jeu de dénoncer leur hypocrisie et de répondre avec vigueur que
leur seul véritable dessein était d’« abattre l’autorité de Sa Majesté, de
démembrer et de dissiper son État et de se cantonner en son royaume pour y
introduire autant de tyrannies qu’il contenait de provinces ».
— Voilà qui est bel et bon ! me dit Déagéant quand
il me vint visiter fin février en mon appartement du Louvre : abaisser les
princes, éternels rebelles en ce royaume, est une entreprise assurément fort
louable.
Mais si Richelieu, comme je le crois, gagne la guerre qu’il
engage contre eux, à qui dans les présentes circonstances profitera cette victoire,
sinon à Conchine, dont le démesuré pouvoir ne trouvera plus devant lui le plus
petit obstacle ? Déjà, Conchine lève sa propre armée. Déjà il aspire,
comme le duc de Guise jadis, à la connétablie. Et s’il l’obtient, je ne
donnerai pas cher du trône de Louis, ni même de sa vie.
— Monsieur Déagéant, dis-je, le roi connaît-il cette
polémique entre les princes et Richelieu ?
— Oui, Monsieur le Chevalier, Bellegarde lui en a
touché un mot. Aussi bien n’est-ce pas à ce sujet que je vous viens visiter,
mais pour réciter un certain nombre de faits que je vous prie de faire parvenir
à Louis par notre coutumier canal.
— Récitez, Monsieur Déagéant, dis-je : la
gibecière de ma mémoire est grande ouverte.
— Primo : les trois ministres vont tous les
jours en la maison de Conchine traiter des affaires de l’État et prendre ses
ordres. Secundo : Conchine a l’intention de bannir du Conseil du
roi ceux des conseillers qui ne lui paraissent pas assez dociles. Tertio : hier au Louvre, il entra dans la salle du Conseil des dépêches, et
s’asseyant sans façon dans la chaire du roi, il commanda au secrétaire d’État
de lui lire les nouvelles qu’il venait de recevoir. Quarto, et ce quarto va vous laisser béant, Monsieur le Chevalier : Conchine prend prétexte de
la guerre pour envoyer aux armées la plus grande partie de la garde personnelle
du roi.
— Voilà, m’exclamai-je, qui est fort inquiétant !
— Ce l’est ! dit Déagéant sans que l’ombre d’une
émotion apparût sur son visage carré et paysan. L’affaire a été décidée ce
matin : vont partir rejoindre l’armée du duc de Guise les gendarmes du
roi, ses chevau-légers et seize de ses vingt compagnies de gardes françaises.
— Après cela, que reste-t-il donc à Louis ?
— Les Suisses et quatre compagnies de gardes
françaises ; et encore, sur ces quatre restantes, Conchine, après y avoir
réfléchi plus outre, eût voulu en expédier trois de plus au duc de Guise dans
l’Île-de-France.
Mais Mangot et Richelieu s’y opposèrent pour la raison qu’il
ne fallait pas, dirent-ils, trop dégarnir la garde de Louis.
— Cela me fait plaisir que Mangot et Richelieu aient
osé se rebéquer contre ce monstre. Et Barbin ?
— Il n’a pas osé ouvrir le bec. Les fureurs de Conchine
le paralysent.
— Pensez-vous, Monsieur Déagéant, que si Conchine
tentait un coup de force contre le roi, Richelieu y serait connivent ?
— Nenni, je le décrois. Pour Richelieu, Conchine n’est
qu’un marchepied pour atteindre le pouvoir. Là où Richelieu s’égare, c’est
lorsqu’il croit, le moment venu, pouvoir passer la bride à ce fol furieux. À
mon sentiment,
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