L'Enfant-Roi
déambulations que de
furtifs amoureux. Toutefois, nous pourrions nous trouver nez à nez avec des espions
de Conchine.
On se ramentoit sans doute qu’en raison de sa capitainerie
du Louvre, Luynes jouissait d’un logis, situé juste au-dessus de celui du roi,
et qui communiquait avec lui par un petit viret. Cette disposition si commode
et si discrète permettait à Louis de le voir à toute heure.
Dans le tournant de ce viret, étendu sur les marches et
profondément endormi, nous trouvâmes Monsieur de Berlinghen. Robin, indigné que
le drolissou, placé en sentinelle, se fût ensommeillé, proposa, pour le réveiller,
de lui mettre le tranchant de sa hallebarde sur le cou. Mais craignant que le
béjaune ne poussât à son réveil des cris d’orfraie, je préférai le secouer
doucement par les épaules, tandis que Déagéant, ayant pris la lanterne des
mains de Robin, la lui mettait dans les yeux. À la parfin, Berlinghen se
réveilla, je lui fis tout un sermon sur sa défaillance, et à peu qu’il n’en
pleurât. Le voyant si désemparé, je commandai à Robin de demeurer avec lui, ce
dont mon cuisinier fut bien marri, et d’autant que Déagéant lui avait pris la
lanterne, et qu’il allait demeurer dans le noir et le froid, avec un garcelet
qu’il ne pourrait même pas rebéquer, puisqu’il était noble.
Quand Déagéant toqua d’une façon convenue à l’huis de
Monsieur de Luynes, une main entrebâilla par degrés la porte, et la tête de
Cadenet apparut. C’était un des deux frères de Luynes, et le plus vaillant des
trois, étant celui qui se battait en duel à la place de Luynes, quand le
pauvret avait le malheur d’être provoqué par un jaloux : car il va sans
dire que pour sa part et connaissant ses propres faiblesses, Luynes ne
provoquait jamais personne, étant avec tout un chacun doux, modeste et
complaisant.
À apercevoir Déagéant qui élevait la lanterne de Robin à la
hauteur de son propre visage, Cadenet ouvrit grand la porte, nous salua
silencieusement et s’effaça. Je me trouvai dans un cabinet qui me sembla de
petites dimensions, peut-être parce qu’il était très peu éclairé par une seule
chandelle, et je vis, debout contre une seconde porte et paraissant en
interdire l’accès, Brantes, le deuxième frère de Luynes, lequel portait à la
ceinture deux pistolets, dont les crosses brillaient dans la pénombre. Les
trois frères se ressemblaient fort et s’aimaient prou, et cette fraternelle
amour, jointe à leur caractère méridional enjoué et facile, les rendait
aimables à toute la Cour. Ils avaient, en outre, beaucoup à se glorifier dans
la chair, étant fort bien faits, bien que de taille moyenne, l’œil velouté, le
cheveu aile de corbeau et les traits délicatement ciselés.
Brantes s’effaça à son tour, me faisant au passage le plus
charmant sourire, et j’entrai dans la chambre où, étant ébloui de prime par la
vive lumière de deux grands chandeliers, je ne vis que de la façon la plus
vague la silhouette d’une demi-douzaine de personnes assises en cercle. Mais
Brantes s’emparant de mon bras et me faisant prendre place sur une escabelle,
je cessai de cligner des yeux et je fus béant de reconnaître le roi assis en
face de moi. Aussitôt je me levai dans l’intention de lui rendre hommage, mais
Brantes me saisit de nouveau par le bras et me souffla à l’oreille de me
rasseoir, Sa Majesté ne voulant pas de cérémonies en ces réunions secrètes.
— Sire, dit Luynes, tous ceux à qui vous avez commandé
de venir sont là.
Louis fit des yeux le tour de l’assistance. Il y avait là
Monsieur de Modène, Monsieur de Marsillac, Déagéant, moi-même et quelqu’un qui
devait être Monsieur Tronçon. Une poignée, une toute petite poignée d’hommes,
pour partir à la reconquête d’un royaume.
— Merci, Messieurs, de m’être si bons serviteurs, dit
le roi.
Tant parce que le bégaiement de ses enfances l’avait quelque
peu clos sur soi, que par une disposition naturelle à se méfier des paroles,
Louis n’était pas éloquent et ne prisait pas non plus l’éloquence chez les
autres. Mais étant homme de peu de mots, l’air et le ton dont il les prononçait
leur donnaient une signification qui dépassait leur sens. Ainsi, quand il nous
remercia de lui être « si bons serviteurs », cela voulait dire qu’au rebours
de tous ceux qui l’avaient abandonné, nous lui étions restés fidèles, malgré
les efforts déployés par
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