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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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nouvelles
quelle avait non pas glanées, mais ramassées à la pelle, au Marché Neuf, et
d’autant que mon père lui lâchait pour une fois quelque peu la bride, désirant
tâter par elle le pouls des Parisiens en ces temps de mésaise et d’angoisse.
    Elle nous expliqua – ce qui se révéla vrai – que
le Conchine avait recruté une garde personnelle de quarante bretteurs qui le
suivaient partout et qu’il appelait ses coglioni : ce qui, étant
connu, avait fait que partout à Paris on ne l’appelait plus que le coglione, quoique ce fût, dit-elle, un nom encore beaucoup trop doux pour lui, qui
méritait d’être brûlé vif, comme Ravaillac, en place publique ; qu’il
avait recruté et cantonné dans le faubourg Saint-Germain dix-neuf mille soldats
étrangers afin de pouvoir, le moment venu, massacrer les Parisiens (ce qui
était vrai, sauf quant au nombre, car ils n’étaient que deux mille) ; que
le roi avait menacé de tailler en pièces ces régiments étrangers, mais que par
malheur, il n’avait pu, sa garde personnelle ayant été perfidement envoyée à
Soissons (version étrangement magnifiée de l’affaire de l’escorte) ; que
le Conchine venait de dresser deux cent cinquante potences dans Paris pour y
pendre les Parisiens, s’ils se rebellaient contre sa tyrannie (les neuves
potences se trouvaient bien, en effet, aux carrefours, mais elles n’étaient que
cinquante) ; qu’un capitaine avait été décollé sur l’ordre de Conchine
dans la cour du Louvre (ce qui était vrai) pour avoir communiqué avec le roi
(alors qu’en fait il renseignait les princes) ; que le roi était allé se
plaindre à la reine-mère des méfaits du favori, et que sa mère, furieuse qu’il
osât dire du mal de son amant (ce que le Conchine n’était pas), avait osé
souffleter le roi (ce qu’elle ne faisait plus depuis qu’il était majeur) et
l’avait rebéqué en disant : « En quoi chety que chela te concherne ? » (La reine-mère, comme le remarqua La Surie
quand Mariette fut sortie, ne tutoyait pas le roi et n’avait pas non plus
l’accent auvergnat.) Mais l’entretien avait bel et bien eu lieu, il y avait une
semaine à peine et c’était prodige que Mariette l’eût appris si vite, même sous
cette forme fautive, et après quel longuissime cheminement de bec à
oreille ?
    — La haine des Parisiens pour Conchine est devenue
furieuse, dit mon père quand nous fûmes retirés après le dîner en notre
librairie, et la reine-mère, guère mieux traitée. Nous aurons de grands
désordres céans, si le nœud qui nous étrangle n’est pas sous peu dénoué.
    — Il y a, dit La Surie, une circonstance qui m’étonne
dans ce pasticcio [93] (il se piquait alors d’apprendre
l’italien). La Conchine déteste son mari, parce qu’il la traite comme bête
brute, la bat, la jette à terre, la traîne par les cheveux, la menace de son
poignard. Et la reine-mère ne l’aime pas davantage. Que ne se liguent-elles pas
pour se débarrasser de ce scélérat ?
    — C’est, dis-je, qu’elles ne le peuvent point. La
Conchine vit recluse en son appartement, n’ayant qu’une passion en ce
monde : l’or, et elle a besoin d’un bras séculier pour favoriser ses
affaires. Ce bras, c’est Conchine.
    — Et la reine-mère ?
    — Elle est si confuse, si perplexe et si tergiversante
qu’elle finit toujours par vouloir ce que veut la Conchine. Jamais elle n’aura
la force de la renvoyer à Florence. Ni elle, ni son époux.
    — La situation est donc sans issue ? dit mon père.
    À cette question je ne trouvai pas de réponse et je me
contentai de hausser les sourcils. Car, à la vérité, je commençais à
désespérer, Déagéant m’ayant dit que le roi craignait par-dessus tout qu’on
l’ôtât de son trône, pour mettre à sa place son frère cadet, Gaston, enfant
léger et pliable qui apporterait à sa mère l’occasion d’une deuxième régence,
et à Conchine, l’affermissement de son absolu pouvoir.
    Cependant, ce même jour où le « sans issue » de
mon père avait résonné comme un glas dans mon cœur, l’espoir tout soudain
commença à luire avec la visite, dans l’après-midi, de Déagéant en mon
appartement du Louvre, laquelle visite ne tourna pas du tout comme les
précédentes, encore qu’après les salutations je commençasse l’entretien par ma
phrase coutumière :
    — Monsieur Déagéant, parlez ! J’ouvre toute grande
la gibecière de ma

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