L'Enfant-Roi
celle qui était
utile à l’État. Le roi ne revint pas sur son refus, mais le lecteur ne manquera
pas de s’apercevoir dans la suite de ce récit que son attitude en la matière
fut, en fin de compte, moins inflexible et, se peut aussi, plus subtile qu’elle
ne nous sembla d’abord.
On chercha un homme d’exécution pour arrêter Concini, et
Tronçon, qui était de robe, songea tout naturellement à Henri de Mesmes,
lieutenant civil du prévôt de Paris. L’approche fut prudente, et eut lieu aux
Tuileries où, comme fortuitement, le lieutenant civil rencontra le roi, lequel
était seul, se promenant avec Luynes.
— Monsieur de Mesmes, dit Louis assez brusquement,
êtes-vous pas mon serviteur ?
— Assurément, Sire, je le suis, dit Mesmes, étonné.
Un silence s’ensuivit et Louis reprit d’un air
ambigueux :
— Je vois beaucoup de choses en mon royaume qui ne me
satisfont pas.
Mesmes leva les sourcils et se fit très attentif, attendant
la suite.
— Le maréchal d’Ancre, dit alors Luynes, ne s’acquitte
pas bien de son devoir.
— Le maréchal, dit Mesmes au bout d’un moment, ne se
déplace jamais qu’entouré de ses gardes et d’une forte suite. Il est probable
qu’il ne se laissera pas arrêter sans opposer une vive résistance.
— Un lieutenant civil n’est pas lui-même sans moyens,
dit Louis.
— Mais ma profession, dit Mesmes, ne consiste pas à
tuer les gens que j’arrête. Ceci dit, j’ai assez de courage pour me saisir du
maréchal et le traduire devant le Parlement pour peu que les formes de la loi
soient respectées.
— Merci, Monsieur de Mesmes, dit le roi sans battre un
cil. Je suis content de votre réponse et j’aimerais que vous gardiez le silence
sur cet entretien.
Mesmes salua le roi et le roi le regarda s’éloigner. Puis il
se tourna vers Luynes et dit :
— Ce n’est pas là notre homme.
Le soir, à notre réunion secrète dans l’appartement de
Luynes, le favori nous rapporta la rencontre avec le lieutenant civil. Il contait
bien, avec finesse et talent, mais dans le prédicament où se trouvaient le roi,
et nous-mêmes par la même occasion, ses élégances m’impatientèrent et je sus
gré à Déagéant de clore ce discours apprêté par quelques mots abrupts et
pertinents.
— Dans cette affaire, dit-il, ce qu’il faut, c’est tout
justement un homme qui ne respecte pas les formes. En ce cas, pourquoi pas
Vitry ?
Lors du bal de la duchesse de Guise, j’ai présenté à mon
lecteur non point ce Vitry-là, mais son père, à qui il ressemblait fort. À sa
mort, le fils chaussa ses bottes, son titre de marquis de l’Hôpital et sa
charge de capitaine des gardes. Bretteur, boutefeu et casseur d’acier, il avait
la face mâle, l’œil hardi, la mâchoire carnassière, la membrature carrée et le
rire sonore. Ses équipées, ses duels et ses extravagances n’étonnaient plus
personne. J’ai déjà conté comment, ayant appris qu’on avait resserré un de ses
soldats, il ramassa quelques hommes, pétarda la porte de la geôle, rossa les
geôliers et libéra les prisonniers. Il s’en tira avec une remontrance. Bien
après l’affaire qui nous occupe, il bâtonna, en l’appelant « bigot, cagot
et cafard », l’archevêque de Bordeaux. Le doux sexe lui-même ne
l’adoucissait pas. Ne pouvant se passer de femmes, il en prenait là où il en
trouvait, et les besognait avec une telle violence que les pauvrettes sortaient
de ses bras meurtries et moulues. Malgré cela, ou à cause de cela, je ne
saurais trancher, il était fort recherché des dames, même à la Cour.
La suggestion de Déagéant fut trouvée bonne par le roi et
par nous tous, d’autant plus que Vitry commandait ce mois-là les gardes de
service au Louvre. On le convoqua par l’intermédiaire d’un des oiseleurs de
Luynes, qui avait autrefois servi son père et entretenait avec lui d’amicales
relations. Vitry apparut à onze heures de l’après-dînée dans l’appartement de
Monsieur de Luynes, et preuve qu’on peut être hardi jusqu’à la témérité et en
même temps prudent, il eut un haut-le-corps en apercevant Déagéant parmi nous.
— Que fait céans cet homme-là ? dit-il, sans souci
du protocole. C’est un commis de Barbin.
— Il m’est toutefois bon serviteur, répondit le roi.
— Alors, cela change tout, dit rondement Vitry. Plaise
à Votre Majesté de me dire ce quelle attend de moi.
— Arrêter le maréchal
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