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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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les lécheurs de
Conchine avaient l’air effaré, car c’était bien la première fois, pour eux
comme pour nous, qu’on voyait dedans le Louvre ce spectacle inouï : un
gentilhomme approcher le roi avec son chapeau sur la tête.
    La partie fut brève. Louis, prétextant sa fatigue, la quitta
au bout de quelques minutes avec un signe de tête adressé à Conchine. Dès qu’il
fut hors ouïe de ce détestable sire, et avant même d’atteindre ses
appartements, il se tourna vers moi et me dit d’une voix tremblante de
colère :
    — Siorac, avez-vous vu comment il s’est couvert ?
    Je sais bien que d’aucuns, qui recevaient du favori charges
et pécunes, ont tâché de l’absoudre là-dessus en disant que les Grands
d’Espagne avaient le droit de garder leur couvre-chef en présence de leur
souverain. L’excuse me paraît niaise. Les mœurs de l’au-delà des Pyrénées ne
sont pas les mœurs de l’en-deçà, et de reste Conchine n’était pas
espagnol : il appartenait à un pays où l’on va si loin dans la vénération
qu’on se met à deux genoux devant le pape pour lui baiser sa pantoufle.
    Mais à mon sentiment Conchine fit bien pis encore dans le
domaine de la damnable impudence. Louis, on s’en ramentoit, n’était point un
prince dépensier, n’aimant ni les bijoux ni les vêtures fastueuses, ni les
superfluités du luxe. Mais il lui arrivait parfois, pour la chasse ou la
vénerie, d’avoir besoin d’un supplément de pécunes. On sait alors comment il en
allait : il les demandait à sa mère et la plupart du temps elle les lui
refusait.
    Louis essuya en avril une de ces rebuffades. Et comme il
garda bec cousu là-dessus, aucun officier de sa maison ne l’apprit avant la
visite que lui fit un matin Conchine, suivi et précédé de la tourbe de ses
courtisans, laquelle envahit les appartements du roi à tel point qu’ils
parurent soudain trop petits pour contenir une telle multitude : elle
refoula, pour ainsi parler, le roi et la poignée de personnes qui se trouvaient
avec lui, dont j’étais, dans un coin de la pièce. Toutefois, ce flot impétueux
s’ouvrit en deux comme la mer Rouge jadis devant Moïse, pour laisser passer le
maréchal d’Ancre, lequel sans se découvrir fit à Louis un petit salut
protecteur et lui dit :
    — Sire, je suis bien fâché que la reine ne vous ait
point donné les deux mille écus que vous avez requis d’elle pour employer à des
choses de petite conséquence. Une autre fois que vous aurez ce besoin, plaise à
vous de vous adresser à moi, je vous ferai avoir ce que vous voudrez, soit des
trésoriers de l’Épargne, soit, s’ils refusent, de mes propres deniers.
    Bien qu’il connût de longue date ce dont Conchine était
capable, Louis demeura un instant sans voix. Cet homme de néant, ce vil
aventurier, cet étranger arrivé en France sans un seul sol vaillant et qui
s’était enrichi, avec la complicité de la reine-mère, en pillant ses finances,
osait s’offrir à lui faire l’aumône, et sur ses propres deniers, auxquels
aucun des deux sens du mot « propre » ne pouvait convenir !
    — Monsieur, dit enfin Louis (sans l’appeler ni
« mon cousin », ni « Monsieur le Maréchal »), ce n’est pas
à vous à me donner de l’argent…
    Étant économe de ses mots, il n’en dit pas plus, et
Conchine, après un bref salut, se retira.
     
    *
    * *
     
    Le peuple de Paris, y compris le petit peuple, qui a bien du
mal à survivre, surtout par le temps de gel et de froidure qui raréfie vivres
et bois, s’est toujours furieusement intéressé à ce qui se passe dedans le
Louvre autour de la famille royale, des princes et des ministres, et en babille
intarissablement dans les rues, les places, les marchés et les parvis des
églises, ce discours charriant dans son flot au moins autant de vérités que
d’erreurs. La raison en est sans doute que le demi-millier de domestiques qui
travaillent de jour dans le palais du roi se trouve en constant contact avec la
centaine de serviteurs qui ont l’honneur d’y coucher (comme ma Louison, qui se
paonnait si fort de dormir « sous le même toit que le roi ») et
apprend d’eux une foule de choses qui, colportées ensuite dans la capitale,
grossissent et se déforment en passant de l’un à l’autre, mais sans perdre tout
à fait leur âme de vérité.
    Jamais en nous servant, Mariette ne travailla tant du caquet
qu’en cet avril où, à notre repue de midi, elle nous donnait les

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