L'Enfant-Roi
parlaient de s’armer et de courir arracher le
tyran à son Louvre. La corporation la plus forte en bec de la capitale, les
savetiers, dont le fameux Picard était le chef, se répandait partout, excitant
à la sédition les ouvriers mécaniques, les soldats perdus et les désoccupés.
Les corporations les plus féroces – crocheteurs, mazeliers et bateliers de
Seine – méditaient des violences apocalyptiques et à elles, attirées comme
limaille par aimant, se joignaient sournoisement les bandes redoutées de
mauvais garçons parisiens – les Rougets, les Plumets, les Grisons –
lesquels d’ordinaire demeuraient dans la journée tapis au mitan des faubourgs
puants, cachés dans des taudis à double issue, au milieu d’un lacis de ruelles
inaccessibles au guet.
Il n’y avait qu’un seul cri : on vouait à la mort la
plus barbare un homme qui déjà n’était plus. On sciait dans les carrefours le
pied des cinquante potences qu’il avait fait dresser pour épouvanter le
populaire. On n’en garda qu’une seule : celle du Pont Neuf, où l’on jura
qu’on pendrait le coglione, dès qu’on l’aurait pris. Le guet, qui
tâchait d’intervenir, fut lapidé et se retirant, dépêcha au roi pour annoncer
que la foule allait marcher sur le Louvre.
Le Conseil du roi, lequel avait cessé d’être secret à la
minute où Conchine était tombé sous les balles, siégeait en permanence et
décida d’apporter un prompt remède à ces remuements et aux excès qu’ils
pourraient produire. On envoya les archers de la garde du corps, lesquels
étaient bien reconnaissables parce qu’ils étaient habillés aux couleurs du roi,
parcourir Paris à cheval avec ce qu’il fallut d’exempts et d’enseignes pour
crier à tue-tête : « Conchine est tué ! Conchine est tué !
Le roi est roi ! Vive le roi ! »
Ce cri, aussitôt repris, se propagea de quartier en
quartier, de places en rues et de rues en ruelles, avec une rapidité qui défie
l’imagination. De minute en minute, la liesse du populaire devint aussi
frénétique que l’avaient été sa douleur et sa rage. On s’embrassait sans se
connaître, on se congratulait, les visages rayonnaient, il semblait qu’un monde
plus juste fût né, dans lequel il ferait bon de vivre. Avec les fragments des
potences qui eussent dû porter au bout d’une corde les Parisiens révoltés, on
fit de grands feux de joie qui exaltaient la mort de celui qui les avait
dressées. On obligea les cabaretiers à rouvrir leurs échoppes, on s’attabla, on
but à franches goulées, on chanta, on dansa, pastissant les garces à la fureur.
Et par-dessus tout, on parla intarissablement du petit roi, on s’attendrit sur
la vaillance d’un garcelet qui n’avait pas seize ans, on se ramentut la bonne
mine et la fière allure qu’il avait à cheval en ses apparitions publiques, on
prédit qu’il serait le plus grand roi de la terre. On clama qu’il avait sauvé
et libéré son peuple. On le compara à la Pucelle, dont il avait d’ailleurs le
doux visage, d’aucuns assurant même que son dessein de tuer le méchant lui
avait été inspiré par Dieu, ou par un ange envoyé de Dieu. Ceux qui n’avaient
plus de pécunes pour payer leur vin marchaient par les rues inlassablement par
l’effet de leur fanatique enthousiasme, et ne se contentant pas de crier
« Vive le roi ! » à se rompre la gorge, ils ajoutaient :
« Le roi est roi ! » Et ces deux cris, indéfiniment répétés,
fusaient de milliers de poitrines et allaient jusqu’aux nues.
L’objet de tant d’amour était assailli dedans son Louvre par
une foule d’une autre espèce, mais tout aussi fervente. Tous ceux qui pouvaient
être admis au guichet en montrant patte blanche – nobles,
parlementaires, gens de robe, grands commis de l’État – s’alignèrent
patiemment sur le pont-levis, le pont dormant, et jusque dans la rue de
l’Autriche, en files interminables. Car la presse était grande et on ne pouvait
passer au guichet qu’un par un. Le monumental escalier Henri II
était noir de monde. On n’y pouvait avancer d’un pas qu’au bout d’une
demi-heure, et les gens étaient si serrés les uns contre les autres qu’une
épingle entre eux n’aurait pu tomber à terre. Les appartements royaux s’étant
avérés trop étroits pour cette multitude, on avait porté le roi jusqu’à la
Petite Galerie, mais là encore, Louis, menacé d’écrasement par une foule avide
de le voir, dut pour
Weitere Kostenlose Bücher