L'Enfant-Roi
désirait, de dérober au chœur la vue de sa
personne.
Toute la Cour s’étant déplacée de Paris à Reims, la
cathédrale était pleine à n’y pas loger une épingle et encore que ce lieu saint
eût dû inspirer plus de respect aux assistants, il bourdonnait de mille
entretiens qui n’avaient sans doute rien de pieux. Toutefois, un grand silence
se fit quand, précédé de l’évêque de Laon et de l’évêque de Beauvais, et suivi
des pairs du royaume, tant religieux que laïcs, le petit roi apparut, vêtu de
cette longue robe de toile d’argent qui lui tombait jusqu’aux pieds et donnait,
ou voulait donner, l’impression qu’il venait à peine de naître et n’avait pas
encore reçu des mains de son créateur, par l’intermédiaire obligé de l’Église,
les vêtures et les armes de son pouvoir.
Tandis que, le front haut et la taille droite, Louis
marchait dans l’allée de la grande nef, suivi des dignitaires de son royaume,
il paraissait, à la vérité, bien petit, et son avenir bien fragile, entouré
qu’il était de ces voraces Grands, et mal voulu d’une mère frivole et dure qui
le tenait pour son rival. Il marchait, comme lui avaient appris Monsieur de
Souvré et le grand chambellan, lentement et les yeux fixés sur le chœur,
apportant à ce rôle en ce sacre son application coutumière car il mettait
beaucoup de conscience à tout ce qu’il faisait.
Pour nous, il y avait dans ce sacre une ironie amère. Le
ciel et la terre allaient se conjuguer pour donner à Louis toutes les
apparences du pouvoir et il n’était même pas le maître dans les quelques pieds
carrés de sa chambre. De son lever à son coucher, il ne lui manquait pas une
bonnetade, une révérence ou une génuflexion, et tout lui était donné avec le
dernier respect, même le fouet.
Ce n’est pas que l’amour, hors celui de sa mère, lui faillît
tout à plein. En jetant mes regards autour de moi dans la cathédrale, je vis
plus d’une dame qui, à le voir s’avancer dans la tendreté de son âge, y allait
d’une larmelette. Et je vis aussi plus d’un gentilhomme dont le visage
s’empourprait à contempler, en cette occasion, le fils d’un souverain qu’ils
avaient aimé. Ceux-là aspiraient du bon du cœur à servir Louis, et pas plus que
mon père, La Surie et moi-même, ne consentiraient jamais, comme bon nombre de
courtisans faisaient déjà, à s’accrocher aux chausses de ce bas faquin de
Concini, à lui lécher les mains et à se coucher à ses pieds. Nous n’avions
qu’un maître et il était là, dans la nef, tout béjaune et faible qu’il fût.
De tous les rites qui, en ces fastes, accablèrent Louis, le
plus important, assurément, celui qui le consacrait et lui conférait la grâce,
était l’onction. Elle requérait le mélange de deux huiles : l’une venant
du saint chrême, l’autre de la sainte ampoule. Le saint chrême, qui est usuel
dans le baptême, est lui-même un mélange d’huile d’olive et de baume. La sainte
ampoule est aussi une huile, mais d’origine combien plus vénérable, puisqu’elle
fut apportée du ciel par un ange à saint Remy pour le baptême de Clovis. Comme,
depuis cette date, elle avait servi au sacre de tous les rois de France, on
entend bien qu’il fallait la ménager et ne pas la servir avec un cuiller. En
fait, le cardinal de Joyeuse enfonça une aiguille d’or dans la sainte ampoule
et, par ce moyen, en tira une quantité infime qu’il mélangea du doigt avec le
saint chrême.
On dévêtit alors Louis. On lui retira de prime sa longue
robe, puis on défit les attaches qui retenaient aux épaules sa camisole et sa
chemise, et il apparut nu jusqu’à la ceinture. Dans cet appareil, il dut se
coucher de tout son long sur le ventre – posture humble mais surtout fort
malcommode, les dalles de la cathédrale n’étant pas des plus douces. Qui pis
est, ce prosternement dura prou, car le cardinal de Joyeuse debout et le roi
demeurant à ses pieds, le prélat prononça une quantité infinie d’oraisons que
j’aurais donné beaucoup pour abréger, mais dont l’excessive longueur voulait
sans doute laisser entendre la supériorité du pouvoir spirituel sur le
temporel. Mon père, à côté de moi, grinçait des dents, soupçonnant là une
attitude ultramontaine [9] . Mais, pour une fois, je ne saurais
dire s’il avait tout à plein raison, ces prières étant séculaires, la
tradition, avec les siècles y ayant beaucoup ajouté.
Le cardinal
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