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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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s’il se préparait à mourir dans un
dernier assaut, après avoir fait au roi un rempart de son corps.
    Une voix fort chevrotante, celle de l’évêque de Laon, lui
répondit à travers l’huis :
    — Louis XIII, fils de Henri le Grand.
    À ouïr son père si glorieusement nommé, Louis ouvrit les
yeux. Ce que voyant le grand chambellan, il pencha son gros corps hâtivement
sur le grand lit de parade et dit à voix basse et pressante :
    — Pour l’amour du ciel, Sire, fermez les yeux !
    Puis, se redressant et se tournant vers la porte, le grand
chambellan cria d’une voix dont la force et l’ampleur étaient tout à plein
disproportionnées à celle de l’évêque de Laon :
    — Le roi dort !
    Après quoi, il attendit. Et il n’attendit pas longtemps, car
un nouveau coup, aussi faible que le précédent, fut frappé à l’huis.
    — Que voulez-vous ? cria le grand chambellan sur
le même ton.
    — Louis XIII, fils de Henri le Grand, dit l’évêque
de la même voix tremblée, cassée et à peine audible qui le rendait si peu
redoutable.
    — Le roi dort ! cria le grand chambellan sans rien
rabattre de sa truculence.
    Après le troisième coup frappé à l’huis – puisqu’il
fallait qu’il y en eût trois, chiffre magique – la réponse de l’évêque au
stentorien « Que voulez-vous ? » du chambellan, changea :
elle ne mentionna plus Henri IV, mais le ciel – la filiation
terrestre d’Henri IV étant abandonnée au profit de la mission divine de
son fils.
    — Louis XIII, dit l’évêque, que Dieu nous a donné
pour roi.
    Ce que l’évocation d’Henri le Grand n’avait pu accomplir,
celle du Seigneur le fit, car la porte s’ouvrit, non à la vérité tout à fait
d’elle-même, mais par la main du grand chambellan qui la déverrouilla. L’évêque
de Laon entra à petits pas, suivi de l’évêque de Beauvais. Et le grand
chambellan, de fier Sicambre qu’il était jusque-là, redevint tout soudain la
brebis la plus obéissante de l’Église et, courbant la tête devant les deux
prélats, leur quitta la place.
    Louis devait dormir, assurément, d’une façon fort vigilante,
car dès que l’évêque de Laon lui eut dit, de sa voix faible : « Mon
fils, réveille-toi ! » (tutoyant le roi pour la première et la
dernière fois de sa vie), il ouvrit les yeux et se laissa ensuite lever, à ce
que j’ai ouï, sans se faire trop lourd, ni de reste trop léger, voulant sans
doute donner quelque vérisimilitude au rôle qu’on lui avait prescrit. Quelques
minutes plus tard, vêtu de la même robe en toile d’argent à longues manches
dans laquelle il avait reposé sur son lit de parade, il traversa la place de la
Cathédrale, suivi des pairs laïcs et ecclésiastiques du royaume et pénétra dans
l’église. Il devait me dire, bien plus tard, que son cœur battait à se rompre
au moment où il mit le pied sur les marches usées par tant de siècles.
     
    *
    * *
     
    Grâce à la double protection de la duchesse de Guise et de
l’archevêque de Reims, le maître de ces lieux, je fus admis, avec mon père et
La Surie, à de bonnes places dans la galerie du chœur, lesquelles nous
donnaient des vues plongeantes sur la cérémonie – si du moins je peux
appeler « bonnes » des places debout où nous étions fort pressés par
une foule d’invités, les jambes à la longue nous rentrant dans le corps et du
fait du coude à coude avec nos voisins, crevant aussi de chaud, bien que
l’église vu la touffeur du temps nous eût paru fraîche à l’entrant.
    La seule personne que je vis là, qui fût installée sur une
chaire à bras contre la balustrade ajourée, était une dame fort bien mise que
je ne voyais que de dos mais qui, à observer sa nuque et son profil perdu, me
fit l’effet d’être jeune et désirable. Sa présence m’intrigua fort, car les
grandes dames de la Cour – princesses et duchesses – étaient elles
aussi assises, mais dans le chœur et si l’inconnue, d’évidence, ne se pouvait
flatter d’assez haut parentage pour être parmi elles, d’où venait qu’on lui eût
baillé cette chaire discrète dans la galerie et au surplus, à ses côtés,
debout, un clerc vigoureux qui paraissait n’être là que pour écarter d’elle les
fâcheux ? J’observai aussi que son siège était placé derrière une colonne,
ce qui ne l’empêchait pas, en se penchant, d’avoir des vues sur le chœur mais
pouvait lui permettre, si elle le

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