L'Enfant-Roi
l’onction fut finie, on le garnit, non
seulement en vêtements mais en objets divers, tous chargés de symboles.
On commença par lui donner une épée. Il la tira de son
fourreau et, selon les instructions qu’on lui avait données, il la baisa et,
nue quelle était, l’alla, selon le rite, placer sur l’autel.
— Qu’est-ce que tout cela veut dire ? me glissa La
Surie à l’oreille.
— Qu’il défendra l’Église, dis-je à voix basse.
— À moins, dit La Surie sur le même ton, qu’il n’ait,
comme son père, à se défendre contre elle…
Cette fois, il dit cela en langue d’oc, afin que je
n’allasse point lui clore le bec une deuxième fois.
Après l’épée, le cardinal de Joyeuse bénit pour le roi un
anneau d’or qu’il lui passa à l’annulaire de sa dextre et par lequel Louis
était censé épouser son royaume, l’annulaire de l’autre main étant réservé à
son hymen futur. Ainsi bagué, Louis reçut encore du cardinal, pour qu’il la
saisît en sa main gauche, la main de justice qui proclamait son pouvoir
judiciaire et en même temps, en sa main droite, le sceptre royal, insigne de sa
puissance souveraine.
Or, si la main de justice, faite d’ivoire et emmanchée sur
bois était légère, le sceptre, lui, se trouvait fort lourd pour un garcelet de
neuf ans. Et son bras, sous l’effort qu’il fit pour le tenir droit, se mit à
trembler. Voyant quoi, le premier parmi les pairs laïcs, le prince de Condé,
voulut y porter la main pour l’assurer, mais Louis, tournant la tête vers lui,
lui dit d’une voix ferme et sèche :
— Je préfère le porter seul !
Ni le geste du prince de Condé qui, vu ses ambitions,
n’était peut-être pas sans arrière-pensée (le sceptre royal étant chargé d’un
si puissant symbole) ni la prompte rebuffade de Louis (qui, quant à nous, nous
combla de joie) n’échappèrent à la Cour, Condé étant celui des Grands qui, par
son humeur rebelle, donnait le plus de tablature à la régence.
Le sceptre précéda la couronne et celle-ci, posée depuis le
début de la cérémonie bien en vue sur le maître-autel, était réputée être la
couronne de Charlemagne. Toutefois, les Autrichiens prétendaient aussi la
posséder et la garder à Vienne pour couronner leurs empereurs. Je ne saurais
dire, à la vérité, quelle était l’authentique et quelle, la copie, tant est
pourtant que la nôtre portait, en plus de ses deux cent soixante-seize perles,
huit fleurs de lys qui la francisaient. Quoi qu’il en fût, elle paraissait bien
lourde et bien large pour une tête d’enfant et je gage qu’on avait dû user d’un
artifice pour réduire à l’intérieur sa circonférence, afin qu’elle tînt sur la
tête du petit roi sans risquer de lui retomber sur le nez.
Louis assis et portant vaillamment main de justice et
sceptre (il avait réussi à maîtriser le tremblement de son bras droit en le
collant contre son corps), le cardinal de Joyeuse, avec un grand air de pompe,
alla prendre sur l’autel la couronne et l’éleva des deux mains au-dessus de la
tête du petit roi, mais sans l’y poser.
Le chancelier appela alors d’une voix forte les pairs
ecclésiastiques et les pairs laïcs qui, se rangeant autour de Louis, portèrent
la main sur la couronne comme pour la soutenir : symbole
transparent, et combien démenti au cours de notre Histoire !…
Le cardinal reprit alors la couronne de la main gauche, la
bénit, et la posa sur le chef de l’enfant-roi, les pairs y portant la main, non
cette fois pour la soutenir, mais pour la toucher.
Vinrent alors les génuflexions et les acclamations, suivies
de deux baisers sur les joues royales donnés par le cardinal et les douze
pairs. C’est à ce moment que deux petits incidents survinrent qui n’échappèrent
à personne, le premier qui pouvait donner à penser prou à un spectateur
attentif, l’autre, qui le pouvait faire sourire ou attendrir, selon le degré
d’amour qu’il portait à Louis.
Quand vint le tour du duc d’Épernon de baiser Louis sur la
joue – ce duc dont on avait dit à mi-mot qu’il avait fort bien pu tirer
les fils qui poussèrent Ravaillac à tuer –, Louis, à chaque baiser que le
duc lui donna, porta la main à la couronne comme pour l’assurer sur sa tête. Ce
fut là l’occasion pour toute la Cour de quelques murmures à mi-bouche et de quelques
regards détournés sans qu’on voulût aller plus loin, car l’accusatrice du duc
d’Épernon,
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