L'Enfant-Roi
Mademoiselle d’Écoman, avait été jetée dans un cul-de-basse-fosse et
y demeura, d’ordre de la régente, jusqu’à la fin de ses jours, sans qu’on osât
jamais lui faire un procès qui eût pu être si périlleux pour tant de gens haut
placés – et point seulement pour le seul d’Épernon.
Le dernier pair laïc à baiser Louis sur les deux joues fut
le plus jeune – l’aimable duc d’Elbeuf. C’était un Guise de la tige des
ducs d’Aumale. Il avait été marquis d’Elbeuf à sa naissance et, à cinq ans, fut
nommé duc et pair.
Le jour du sacre, il avait tout juste atteint quatorze ans
et paraissait, entre tous, fort joli et gracieux en sa magnifique vêture. Louis
le connaissait bien, ayant souvent joué avec lui à Saint-Germain, à Vincennes
et au Louvre. Et après que d’Elbeuf l’eut baisé sur les joues, il lui donna, en
jouant, un petit soufflet sur l’une des siennes. Après quoi, il affecta de
s’essuyer la joue.
*
* *
— Eh bien, belle lectrice, vous voilà satisfaite ?
— Classez-moi, Monsieur, en cette occasion, parmi les
attendries. Est-ce tout ?
— Que nenni ! Quand, après le couronnement, la
messe commença, et elle fut fort longue, coupée de chants, Louis dut se lever
pour aller à l’offrande. Toutefois, quelque peu distrait des pensées qui
eussent dû être les siennes, son jeune âge reprenant le dessus, il tâchait, en
marchant, d’attraper du pied la queue du manteau du maréchal de la Châtre qui
marchait devant lui. Le maréchal faisant, en ce sacre, fonction de connétable,
je vous laisse à penser le nez qu’il aurait fait, si son splendide manteau
d’apparat lui était tombé des épaules. À mon sentiment, Louis faisait mine
seulement de lui marcher dessus, sans qu’il essayât vraiment. Cette idée de défaire
le maréchal de sa plus belle parure devait l’amuser, tant il était las de cette
pompe dont, pendant cinq heures, on l’avait accablé.
— Ah ! Monsieur ! Comme vous le
défendez ! Bien assurée je suis que vous me cachez encore une de ses
petites farces ! Pensez-y bien, de grâce !
— C’est que, Madame, je ne suis pas certain que la
dernière farce en soit vraiment une et qu’il ne s’y cache pas un sens. Quand,
le lendemain, on fit Louis chevalier du Saint-Esprit et qu’il reçut à son tour
les chevaliers de son Ordre – dont mon père avait l’honneur de faire
partie –, tous, l’un après l’autre, le baisèrent sur la joue. Mais quand
vint le tour du duc de Bellegarde, Louis de ses deux mains le saisit par la
barbe et dit en riant : « Vela un honnête homme ! »
— Y a-t-il donc une intention, Monsieur, dans cette
petite gausserie ?
— Je le pense. Plaise à vous, Madame, de vous rappeler
que la veille, sur l’ordre de la reine, le duc avait dû laisser ce faquin de
marquis d’Ancre prendre le pas sur lui. Louis le voulait, je pense, venger de
cette humiliation en lui signalant son estime sous le couvert d’une
plaisanterie.
— Revenons, Monsieur, à l’interminable sacre. Finit-il
enfin ?
— À deux heures et quart ! Et à en juger par le sentiment
de fatigue que j’éprouvais dans les pieds, les jambes et les reins, j’imaginais
celle de Louis. Enfin, à deux heures et demie, on ramena le petit roi dans ses
appartements du palais épiscopal.
— Eh bien ! Monsieur ! Eh bien, dites-moi, de
grâce, quelles furent les premières paroles qu’il prononça alors qu’il était
sacré et couronné ? Mais, Monsieur, vous riez ? Vous vous esbouffez à
rire ? Vous avez le front de vous gausser de moi ?
— Ah ! Madame ! Je n’y saurais même
rêver ! J’espère, toutefois, que votre humeur, quand il s’agit des mots de
la langue française, penche davantage du côté de Madame de Guise que du côté de
Madame de Rambouillet.
— Vous piquez ma curiosité. Or sus, Monsieur !
Parlez sans tant languir !
— Je vous obéis, Madame. Dès que Louis apparut dans ses
appartements du palais épiscopal. Monsieur de Souvré, malgré sa pesanteur, se
jeta au-devant de lui et dit : « Ha ! Sire ! Vous devez
être excessivement las ! Que désirez-vous ? Manger ? – Nenni,
Monsieur de Souvré. – Dormir, peut-être, Sire ? – Nenni,
Monsieur de Souvré. – Eh bien, Sire, n’est-il rien que vous
désiriez ? – Rien que pisser », dit Louis.
CHAPITRE III
Le lendemain du jour où mon père eut le privilège, en tant
que chevalier du
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