L'Enfant-Roi
le plus grand gré.
Là-dessus, il quit de moi son congé, me fit un grand salut
et s’en alla, me laissant tout rêveur, tant je trouvais de gentillesse dans son
désir de me servir et d’élégance dans le refus de mes pécunes.
*
* *
Jamais féal n’attendit l’audience d’une grande reine avec
plus d’impatience et d’appréhension que moi, l’audience de cette « fille
de néant », comme l’appelait notre Henri, lequel n’eût jamais rêvé de la
hisser du statut de chambrière à la dignité d’un marquisat, ni pensé un seul
instant qu’à sa mort la régente, dont il avait à l’avance tant rogné les
pouvoirs, gouvernerait à l’absolu le royaume, étant elle-même gouvernée par sa
coiffeuse et le vil aventurier qui l’avait épousée.
Mon appartement au Louvre et le luxe pour moi si neuf de mon piccolo salone ne me montaient pas à la tête. Bien au rebours, je me
sentais assez mal à l’aise en mon attente, en mes incertitudes et même en mes
divertissements. J’avais refusé de prime d’emmener avec moi Louison, ce qui eût
fort désolé la pauvrette qui aspirait de tout son cœur à être, sous le même
toit que la reine et son fils, la chambrière d’un premier gentilhomme de la
Chambre, fonctions dont elle eût porté l’auréole jusqu’au plus vieil de son
âge. Mais toutefois je m’y décidai, mon père m’ayant remontré que je ne pouvais
éternellement « manger mon rôt à la fumée », dans l’attente d’un
événement qui peut-être ne se produirait pas. Mais étant encore si jeune et si
entier, je ne laissai pas, après mes siestes, de me sentir infidèle à Madame de
Lichtenberg, alors que je n’avais encore possédé d’elle que les creuses
rêveries dont ma tête était farcie et ne me sentant pas non plus bien
assuré – dans l’hypothèse où je pourrais la faire venir à Paris – de
recevoir d’elle les dernières preuves d’un amour qui depuis plusieurs mois ne
se nourrissait que d’encre et de papier.
Le marquis d’Ancre logeait dans une petite maison jouxtant
le Louvre, mais la marquise, elle, avait le privilège d’occuper, comme je crois
avoir dit déjà, trois pièces en enfilade au-dessus des appartements de la
reine, auxquels elle accédait par un petit viret. Ces trois pièces par
lesquelles il fallait passer pour arriver aux places, aux charges, aux
honneurs, aux fermages et même aux abbayes, étaient le saint des saints. Et au
rebours de la parole évangélique, il eût été plus facile à un chameau de passer
par le trou de l’aiguille qu’à un pauvre d’y pénétrer.
Au jour et l’heure que me fixa Montalto, je me présentai à
la porte de notre vice-reine, flanqué de La Barge et de Pissebœuf pour des
raisons qui apparaîtront plus loin, mais j’entrai seul, introduit par Marie
Brille, une Française (la seule du lot), laquelle – La Barge dixit –
cuisait le rôt de la marquise. C’était une grosse malitorne, peu agréable à
l’œil, et même quand j’eus dit mon nom, elle ne bougea point du seuil, m’en
interdisant l’entrée par sa masse. Cela me fit entendre qu’il lui fallait
donner une obole comme à Charon, quand il faisait passer le Styx aux pauvres
morts. Je mis donc un écu dans sa large poigne et la pécore s’effaça. Le petit
cabinet où j’entrai était une sorte de cuisine, d’apothicairerie, de réserve
d’épices et je gage aussi d’étuve, car on y voyait dans un coin une cuve à
baigner en bois. La mafflue enfouit mon écu entre ses énormes tétins (où même
la plus chiche-face des créatures de Dieu n’eût pas été encline à l’aller
chercher) et de sa main, large comme un battoir, me désigna sans un mot une
porte au fond de ce cabinet. Je frappai et l’huis s’ouvrit sur une servante qui
en laideur, sinon en graisse, dépassait la première, ayant le regard louche, le
nez vers la gauche tordu et la bouche édentée. Cette beauté était italienne.
D’après La Barge, elle se nommait Marcella et elle aussi, sans prononcer une parole,
m’interdit l’huis qu’elle m’avait ouvert jusqu’au reçu de mon obole. Je
m’avisai après coup que si ni l’une ni l’autre de ces Gorgones n’avaient
prononcé un traître mot en extorquant ce droit de passage, c’est qu’elles
craignaient sans doute que leur maîtresse ne leur réclamât sa quote-part sur
leurs épinglifimes.
Toutefois Marcella, pour sa part, n’était pas étrangère au
langage articulé car,
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