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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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les
ménagements que je devais montrer à une femme malade qui se sentirait offensée
par une approche trop brusque, ou menacée d’ensorcellement par un regard trop
fixe. C’était là le point qui me parut le plus incommode, car je craignais que
mes yeux trop constamment baissés ne me donnassent un air chattemite et ne
fissent qu’à la fin elle se méfiât de moi. Et après avoir médité cette
difficulté, je conclus qu’il valait mieux pour moi jouer les timides que les
hypocrites.
    À la parfin, la sonnette retentit, dont le grelot me parut
se confondre avec le battement précipité de mon cœur, tandis que je me levais
et marchais vers l’huis fatal, appelé par Marcella et véritablement plus mort
que vif, car il me semblait à cet instant que ma vie entière et celle de ma Gräfin allaient dépendre de ce qui s’allait passer dans les méninges de cette
demi-folle.
    Elle était assise, tournant le dos à la fenêtre dont les
rideaux n’étaient qu’à demi tirés, tant est que même si sa tête et son visage
n’avaient pas été couverts d’un voile noir, il m’eût été difficile dans la
pénombre de voir ses traits.
    — Asseyez-vous ! dit la voix de Marcella derrière
moi, sans ajouter le moindre « plaise à vous » ou « de
grâce » ou « je vous prie », les aménités de la courtoisie ne
lui paraissant pas de mise avec les solliciteurs de sa puissante maîtresse. Je
fis un grand salut à l’ombre assise devant moi et lui jetant le plus effleurant
des coups d’œil, je m’assis dans la chaire à bras qu’on avait placée devant
elle à respectueuse distance. À ce que je crus voir, elle me parut occupée sous
son voile à respirer une sorte de médicament dont l’odeur de camphre parvenait
jusqu’à moi. Mais je ne saurais le jurer, car d’un œil cillant, craintif,
embarrassé, j’affectais de laisser errer mes regards sur le sol, le plafond et
les murs sans jamais les poser sur sa personne.
    Il y avait assurément de quoi voir, et de quoi demeurer
ébloui, car les plafonds à caissons étaient peints de figures mythologiques,
les murs tendus de tapisseries des Flandres, le parquet recouvert de tapis de
Turquie dont les brillantes couleurs, malgré la pénombre, flattaient l’œil. Je
ne vis pas moins de trois paires de chaires à bras, chacune ornée de velours
cramoisi que traversaient des bandes de toile d’or. Un grand lustre vénitien
fort garni en pendeloques de cristal pendait du plafond. Flanqué des deux côtés
par de sveltes cabinets en bois d’ébène, dont le dessus était encombré
d’innombrables bibelots d’or, d’argent et d’ivoire, se dressait un lit
monumental – tout à fait disproportionné au malingre corps qu’il avait la
tâche de recevoir – et dont les colonnes torses, dorées à la feuille, soutenaient
un baldaquin qui, comme le dossier de la couche, son dessus et ses courtines,
avait reçu des broderies à petits points d’or et de soie qui rappelaient les
rideaux. Mais ce qui me frappa surtout, c’était le grand nombre de coffres qui
étaient assis au bas des murs et dans les embrasures des deux fenêtres. Ils
étaient fort grands, visiblement fort lourds, faits de bois rare, aspés de fer,
rehaussés de ferrures d’argent et ne comportaient pas moins de trois serrures,
ce qui supposait que, pour les ouvrir et contempler les trésors qu’ils
renfermaient, il eût fallu posséder trois clefs différentes, ou y aller à la
hache, ce qui était exclu, tant que la régente régnerait en ce pays. Lecteur,
pardonne-moi cette hache, si elle te paraît trop violente, encore que ce n’est
pas dans ce bois et ces ferrures qu’il faudrait porter les coups, mais dans la
concussion que la régente avait installée au sommet de l’État.
    Voilà donc, m’apensai-je, cette fameuse chambre que depuis
neuf ans la Concini par ses rapines s’applique à embellir, n’y consacrant de
reste qu’une toute petite part des pécunes qui coulent à flot ininterrompu dans
ses poches. Il ne lui suffit pas d’être riche. Elle se veut aussi entourée de
richesses dont certaines, dit-on – écus, perles, pierres précieuses, diamants –,
s’entassent dans ses coffres. Et à la vérité, c’est là une chambre d’un luxe
émerveillable à laquelle il ne manque rien pour être digne d’une princesse du
sang – sauf les portraits d’ancêtres.
    J’en étais là de ces réflexions quand la forme voilée de
noir qui était assise devant moi

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