L'Enfant-Roi
appréhensions que lui donne son état. Si seulement on la pouvait
convaincre de ne point se soucier tant de ses malaises, elle serait sans doute
moins malade. Mais là non plus il n’y a pas remède. Monsieur le marquis d’Ancre
la voudrait enfermer comme folle au château de Caen, mais j’y suis opposé. La
marquise n’est point lunatique ; elle est seulement déraisonnable, surtout
en ses fureurs. Mais il suffit alors de la ramener par la douceur. Je lui ai
prescrit le repos, l’isolement, la diète, mais une diète modérée et surtout
j’ai demandé que, pour satisfaire son avarice, on lui fît continuellement de
petits cadeaux, seraient-ils tout à fait ordinaires, car le seul fait qu’on lui
donne quelque chose l’apaise.
Je fus étonné de ce discours. Il me parut fort pertinent et
point du tout celui d’un charlatan, comme La Barge me l’avait fait craindre en
parlant de « magicien ». Chose plus extraordinaire, Montalto avait
réussi à me faire prendre intérêt à la santé de la marquise d’Ancre qui
jusque-là était bien loin de mes pensées. Et c’est tout à plein sincèrement que
je demandai :
— Et la marquise est-elle sur la voie de la
guérison ?
— Je n’en jurerais pas, Monsieur le Chevalier, mais
elle va mieux.
Ayant dit, Montalto joignit devant lui les extrémités de ses
doigts, pencha la tête de côté et m’envisagea d’un air bénin, amical et
interrogatif. Je lui dis alors ce que j’attendais de lui.
— Rien de plus facile, dit-il tout uniment, sans se
soucier le moins du monde de faire valoir son intervention. Je vous obtiendrai
une audience sous huit jours et si vous me permettez, Monsieur le Chevalier, de
vous bailler quelques avis, il faudra user de prudence en cet entretien. Par
exemple, parler à la marquise d’une voix douce et basse.
— Et pourquoi cela ?
— Le marquis étant avec elle si violent et si
injurieux, elle se ferme au moindre éclat de voix. Il vaudrait mieux aussi que vous
ne l’envisagiez qu’en tapinois, en prenant bien garde de ne la jamais regarder
dans les yeux.
— Et pourquoi diantre devrais-je agir ainsi ?
dis-je, stupéfait.
— La marquise, dit Montalto, est comme tant
d’Italiennes, à la fois bonne catholique et pleine de superstitions. Et elle
s’est mis dans la tête que les gens qui la regardent fixement la pouvaient
ensorceler, cette possession démoniaque étant pour elle la cause de tous ses
maux… C’est la raison pour laquelle elle vit en recluse, sans jamais sortir de
son gîte, ni voir âme qui vive.
— Sauf, dis-je, les gens qui lui apportent des
épingles…
— Mais c’est alors, reprit Montalto avec un sinueux
sourire, que l’avarice triomphe de la peur. Et ne soyez pas surpris, si elle
vous reçoit avec un voile noir qui, posé sur la tête, lui cache le visage.
C’est là son rempart contre les yeux qui la pourraient diaboliser. Toutefois,
il y a un avantage à cela. Au cours de votre entretien, si elle enlève son
voile, vous saurez qu’elle est prête à s’accorder à vous. Mais c’est alors que
de votre côté il faudra redoubler de retenue dans vos regards.
— Monsieur, dis-je, je vous dois mille mercis pour ces
précieuses indications.
— Auxquelles j’ajouterai encore celle-ci :
s’agissant d’un bargouin où vous n’avez rien à gagner que le retour en France
d’une amie, je ne saurais dire quelles épingles la marquise exigera de vous.
Mais vous la disposeriez fort bien à votre égard si, d’entrée de jeu, vous
pouviez lui faire cadeau d’un petit objet assez agréable, même s’il est sans grande
valeur, tout en lui laissant entendre qu’elle le pourrait garder, si même le
bargouin faillait à se conclure.
— Je n’y manquerai pas, dis-je en me levant. Un grand
merci encore pour votre entremise et les bons conseils dont vous l’avez
accompagnée. Voulez-vous me permettre, révérend docteur médecin, ajoutai-je en
mettant la main à mon escarcelle, de vous témoigner ma gratitude…
— Nenni, nenni, Monsieur le Chevalier ! dit
vivement Montalto : je suis déjà récompensé.
— Comment cela ? dis-je surpris. Et par qui ?
— Mais par vous-même, Monsieur le Chevalier.
Beaucoup de gentilshommes et d’aucuns même, qui sont fort
haut placés dans cette Cour, m’ont déjà approché pour me demander mes bons
offices auprès de la marquise, mais vous êtes le premier à avoir daigné, ou
osé, me recevoir chez lui. Je vous en sais
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