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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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parla, sa parole me plongeant dans la stupeur,
non par ce qu’elle disait, mais par son volume et sa tonalité, car les on-dit
de cour sur la marquise m’avaient tant tintinnabulé les oreilles sur la
brièveté de ses membres, la petitesse de son corps et la faiblesse de sa
constitution, que je ne me serais jamais attendu à ouïr une voix si forte et si
grave sortir de cette frêle enveloppe.
    — Eh bien, Monsieur ! dit-elle, qu’avez-vous
affaire à moi ?
    — Madame, dis-je, en faisant de mon mieux le bec jaune
et le timide, avant d’exposer ma requête, je voudrais, si vous me le permettez,
vous montrer un petit objet assez rare, et sans du tout préjuger du succès de
ma démarche, vous en faire don, s’il vous agrée.
    — Voyons cela, dit l’ombre avec une froideur qui me
parut dissimuler un petit frémissement d’intérêt.
    Je pris dans l’emmanchure de mon pourpoint une petite boîte
en bois des Indes et l’ouvrant au moyen d’une clef miniature, j’en tirai un
petit éléphant en ivoire, que, me levant de ma chaire, je tendis, les yeux
baissés, à la marquise d’Ancre.
    Ses mains apparurent par-dessous le voile noir qui lui
recouvrait la tête et la poitrine. Elles étaient blanches, maigres, nerveuses,
fort petites et me firent penser, je ne sais pourquoi, à celles d’un écureuil.
Elles se saisirent de mon « objet rare » avec une telle avidité qu’on
eût dit qu’elle me l’arrachait.
    Ce bibelot avait une histoire. Quand, il y avait quelque
vingt ans, mon père fut sur le point de quitter Rome, y ayant accompli une
mission délicate (il ne s’agissait de rien moins que de la levée de
l’excommunication d’Henri IV après sa conversion), il acquit d’un voyageur
ce petit éléphant qu’il voulut donner comme cadeau d’adieu à la Pasticciera. Celle-ci, courtisane fort belle et fort considérée, car elle n’avait jamais
plus de six amants à la fois et ceux-ci fidèles et de haut parentage, jeta à la
tête de mon père ce petit éléphant, étant furieuse qu’il osât la quitter sans
qu’elle y consentît. Une cicatrice à la tempe commémorant ce souvenir
malheureux, mon père ne fit aucune difficulté à se défaire du bibelot.
« J’eusse mieux fait, me dit-il, de lui offrir une gazelle et sans la
boîte. C’est l’angle de celle-ci qui m’a blessé. »
    Les petites mains blanches étaient fort visibles sous le
voile noir qui protégeait la marquise des ensorcellements, et c’est sur elles
que je fixais mes yeux, ne voulant pas risquer de rencontrer ceux de la
marquise. Mais rien qu’à observer la façon dont elle tournait et retournait
l’éléphant d’ivoire dans ses doigts caressants, j’entendis qu’elle aimait le
cadeau : impression qui se confirma quand elle me dit, avec un
empressement quasi puéril :
    — Je voudrais aussi la boîte.
    — Elle est à vous, bien entendu, Madame, dis-je en la
lui tendant.
    Elle s’en empara avec la même avide vivacité et la manipula
avec un gusto évident avant d’y coucher l’éléphant et de l’y enfermer à
clef. Le tout disparut alors de ma vue, probablement escamoté dans une des
poches de son vertugadin et sans que la marquise articulât le moindre «  E
molto gentile da parte vostra [18]  » ou même du
plus petit «  grazie  », elle revint à mes moutons, ou plutôt à
la portion de laine quelle comptait m’ôter de leur dos.
    — Eh bien, Monsieur, répéta-t-elle de sa voix
masculine.
    Et soudain redevenue aussi roide et froide que s’il ne
s’était rien passé dans les minutes qui venaient de s’écouler, elle
reprit :
    — Qu’avez-vous affaire à moi ?
    Je lui exposai alors au plus court le sujet de ma requête et
je fis bien d’être bref, car soupçonnant que mon affaire n’était pas pour elle
de grande conséquence, la marquise m’ouït comme si elle était impatiente de
m’expédier.
    — Et quel intérêt avez-vous, me dit-elle dès que j’eus
terminé, à ce que cette dame revienne vivre en France ?
    — Aucun, Madame, sauf amical. En outre, elle est ma
maîtresse d’allemand.
    — Votre maîtresse d’allemand ou votre maîtresse
allemande ? dit la marquise d’un ton coupant.
    La question, qui faisait davantage honneur à sa perspicacité
qu’à sa délicatesse, me déconcerta et je me sentis rougir.
    — Madame de Lichtenberg, Madame, n’est que ma maîtresse
d’allemand, dis-je, les yeux baissés, tout en m’avisant que ma rougeur, pour
une

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