Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
alors des détails que dans le trouble extrême de
nos retrouvailles, je n’avais pas de prime notés. Elle était mise avec beaucoup
plus d’élégance que par le passé, portant non de la serge, mais un corps de
cotte de satin et un vertugadin de même tissu brodé de petites fleurs. Ses
doigts comptaient plus d’une bague, alors que jusque-là son austérité ne lui en
avait permis qu’une seule. Elle n’avait point changé sa coiffure qu’elle
portait haute, bouffante et dégagée du front, mais sur ses luxuriants cheveux
noirs elle avait jeté une résille dont le fin filet d’or comportait çà et là
des perles. D’autres perles composaient le collier qui ornait maintenant son
cou : ce qui m’étonna davantage, car je n’avais jamais vu là qu’une fine
chaîne d’or qui soutenait à son extrémité un cœur et une clef brisée, symbole
désolé de son veuvage. En outre, elle était parfumée – je ne dirais pas
autant que les dames de la Cour de France qui, à vous approcher d’elles, vous
asphyxient par les senteurs dont elles se vaporisent – mais assez
cependant pour que je m’en aperçusse. Et enfin, pendant au lobe de ses oreilles
des boucles d’or brillaient qui par moments me parurent osciller de droite et
de gauche sans que je pusse deviner de prime la source de ce mouvement.
J’observai ma Gräfin plus avidement encore. Son visage était immobile,
ses mouvements, mesurés et ses mains demeuraient fermes et adroites, tandis
qu’elle tartinait ma galette. Ses boucles d’oreilles, seules, trahissaient son
émotion. Elles oscillaient imperceptiblement, alors même que pas un souffle
d’air ne passait dans le cabinet calfeutré où si près l’un de l’autre nous
étions assis.
    De mon côté, il y avait loin du béjaune qui, deux ans plus
tôt, s’asseyait auprès de la Gräfin pour prendre sa leçon d’allemand, à
celui que j’étais devenu grâce à la faveur de Madame de Guise et à la
libéralité inouïe de mon père : un officier de la Maison du roi. Je ne
m’en paonnais point, assurément, sachant bien que l’honneur avait pour ainsi
dire précédé le mérite, et que le mérite aurait, par conséquent, à rattraper
l’honneur, par les services que je rendrais à mon maître. Mais cette charge qui
m’apportait à la fois une fonction très estimée, une pension très considérable
et un appartement au Louvre, me conférait une indépendance et une dignité qui
me permettaient d’échapper pour toujours à ma condition d’écolier perpétuel et
de cadet bâtard d’une grande maison. Encore une fois, je ne me haussais pas le
bec de cette grandeur nouvelle, mais j’en avais le sentiment et il ne laissait
pas que de percer, je gage, dans mon habitus corporis [30] . Que
Madame de Lichtenberg en nos retrouvailles en ait senti quelques nuances et les
ait voulu préciser, c’est ce qui apparut de prime dans la tournure quelle
choisit de donner à notre entretien.
    — Mon ami, dit-elle en m’embarrassant les mains d’une
petite assiette qui portait la galette ronde tartinée avec tant de soin, quel
âge avez-vous donc de présent ?
    — Dix-neuf ans.
    — Vous avez grandi, il me semble, de deux pouces au
moins, car je ne me souviens pas que votre taille, il y a deux ans, ait dépassé
la mienne.
    — Vous n’errez point, Madame, j’ai grandi.
    — Et vous avez l’air aussi beaucoup plus mûr et sûr de
vous. Bassompierre m’a appris votre prodigieux avancement à la Cour.
    — Je le dois tout entier à mon père.
    Je ne mentionnai pas Madame de Guise, me ramentevant qu’une
ou deux fois la Gräfin avait trahi une certaine jalousie à l’endroit de
ma marraine.
    — Mais vous en serez digne, dit-elle, j’en suis
certaine. Vous avez de grands talents.
    — J’ai eu de bons maîtres, Madame, dis-je avec un
sourire.
    Elle sourit aussi.
    — Et vous avez, m’a-t-on dit, un appartement au
Louvre : c’est un grand honneur !
    — Me ferez-vous le grand plaisir de m’y venir
visiter ?
    — Hélas ! dit-elle, cela ne se peut ! J’ai
vécu depuis mon veuvage très retirée et je ne me propose pas sur ce point de
rien changer à ma vie.
    Ce « sur ce point » lui échappa. Il me donna un
frémissement quelle aperçut et qui, après coup, lui fit monter au visage une
petite rougeur qui se répandit lentement sur ses joues et, chose remarquable,
que je n’ai jamais vue que chez elle, sur son cou et une partie de son
décolleté. Je baissai

Weitere Kostenlose Bücher