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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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ta langue et que tu n’aies des
oreilles que pour ne pas ouïr et des yeux que pour ne pas voir.
    — Et pourquoi donc, Monsieur le Chevalier ?
    — Pour la raison que tous, dans le domestique, ne sont
pas de la même religion que nous.
    — Comment, Monsieur le Chevalier ! dit La Barge.
Sont-ce des juifs aussi ?
    — Nenni, ils sont huguenots.
    — Cela ne vaut pas mieux, dit La Barge.
    Je remis à plus tard le soin de défanatiser mon page sur les
hérétiques, qu’ils fussent juifs ou calvinistes, et je parai au plus pressé.
    — En résumé, La Barge, dis-je avec fermeté, point de
parlote céans avec le domestique, ni au confessionnal plus tard avec ton
confesseur ! Suis-je un bon maître pour toi, La Barge ?
    — Ah ! Il n’en est pas de meilleur,
Monsieur ! dit La Barge avec chaleur.
    — Adonc garde-le !
    — Le pourrais-je perdre, Monsieur ? dit La Barge
avec effroi.
    — Point du tout, si tu retiens cette règle en ta
cervelle : tu te dois de m’être fidèle, comme je le suis à mes amis, dont
Madame de Lichtenberg est la plus proche.
    — Monsieur le Chevalier, dit-il gravement, je m’en
souviendrai.
    Qu’elle fût prête ou non, une haute dame à Paris m’eût fait
me morfondre une bonne demi-heure avant de me laisser parvenir jusqu’à elle.
Mais Madame de Lichtenberg, bien qu’elle ne manquât pas, par ailleurs, de cette
délicate adresse qui rend le commerce des femmes si agréable, n’avait pas de
ces mesquines coquetteries par lesquelles nos dames de cour entendent marquer à
la fois leur rang, et le pouvoir dont elles se flattent sur nos tant faibles
cœurs. Elle me reçut dès que j’eus mis le pied dans son hôtel et mieux même, les
premiers compliments échangés, elle me dit tout uniment :
    — N’est-ce pas vous que j’ai aperçu par la fenêtre
passer à cheval dans ma rue il y a un quart d’heure, suivi d’un page ? Vous
eussiez pu toquer alors à mon huis. J’étais prête et je vous attendais.
    Cet aveu si dénué d’artifice m’enchanta. Et d’autant plus
qu’il fut articulé avec une retenue qui ne m’engageait pas à en abuser.
    Cependant, j’envisageais la Gräfin sans dire un mot.
Les compliments avaient absorbé mon courage, mes jambes tremblaient sous moi.
Et comme de son côté elle me rendait regard pour regard sans piper, le silence,
bien qu’au début fort délicieux, finit par devenir trop lourd pour être toléré.
Elle prit sur elle de le rompre avec ce naturel qui était la chose au monde que
j’avais toujours admirée chez elle.
    — Monsieur, dit-elle, vous vous souvenez sans doute
qu’à trois heures je suis accoutumée à prendre une collation, laquelle nous
avons si souvent partagée quand vous étiez mon élève. Vous plaît-il que nous
renouions avec cette aimable habitude ?
    Je parvins à lui dire que j’en serais ravi. Elle sonna, un
valet apparut, portant une table basse sur laquelle se trouvaient un petit
carafon de vin, des petites galettes rondes et un petit pot de porcelaine de
Saxe contenant de la confiture. Madame de Lichtenberg s’assit sur une chaire à
bras et sur un signe d’elle le valet approcha une escabelle pour m’accommoder
et se retira avec des révérences auxquelles la maîtresse du lieu répondit par
un signe de tête poli, ce que n’eût jamais fait la duchesse de Guise à qui on
avait appris en ses enfances que les valets, laquais et chambrières ne
possédaient pas assez de réalité pour qu’on pût les connaître ou les
reconnaître.
    Ce goûter ne nous rendit pas plus bavards, mais nous
apprivoisa à notre silence, du fait que Madame de Lichtenberg, étendant de la
confiture sur une galette qui m’était destinée, apportait à cette tâche un soin
si méticuleux qu’il la dispensait de paroles et du même coup moi-même, puisque
je savais qu’elle allait d’un moment à l’autre me tendre sur une assiette mon
pain quotidien.
    J’avais le sentiment que cette collation me faisait
retourner si miraculeusement en arrière qu’elle supprimait notre longue séparation
et que nous ne faisions que reprendre les gestes, les attitudes et les
occupations de la veille ou de l’avant-veille. Cependant, tandis que je couvais
des yeux la bonne Samaritaine, bien conscient qu’elle n’avait aucunement besoin
des siens pour sentir ma présence à ses côtés, à force de la considérer, au
bout d’un moment, il ne m’échappa point que le temps écoulé l’avait changée.
    J’observai

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